Journée 2 : de Þórsmörk à Botnar
Réveillé à six heures trente par l'alarme du portable.
Il pleut, il pleut, il pleut. Les gouttent matraquent la toile tant et si bien que je ne mets pas le nez dehors. La pluie n'est pas dérangeante pour la randonnée. Elle est même appréciable car elle est synonyme de fraîcheur, et d'une nature qui respire. A condition d'être équipé pour la pluie. Par contre, démonter une tente sous une averse est une vraie galère pour combattre l'humidité. Je me rendors.
Vers neuf heures trente, j'emmerge. La pluie s'est changée en bruine légère. Il me semble que la bruine est le climat habituel, ma future compagne pour plusieurs jours. Je fais mon sac depuis l'intérieur de la tente et porte l'ensemble à l'abri du local toilette. Au moyen de sopalin, j'élimine les gouttes d'eau : je m'interdis la moindre humidité dans le sac, en isolant par d'autres sacs les vêtements de la nourriture, les appareils électriques des couverts etc puis je reviens démonter la tente dont je vais déshumidifier la toile centrale toujours à l'abri du local toilette. Après avoir fixé la protection pluie et souhaité la bonne chance à une dizaine de français venu faire la pause pipi, je me dirige vers le premier des trois campings de la vallée de Þórsmörk.
La responsable du camping m'apprend que le pont permettant de traverser la rivière Krossá est cassé. Pour traverser il est possible de le faire en sandale, cuisse à l'air. Mais les campings offrent généreusement un "service tracteur" conduit par une ravissante islandaise. La traversée est mouvementée : arc bouté au fond de la remorque qui part de travers, bras tendus et mains accrochées aux rebords pour ne pas passer par dessus, pliant les jambes en réponse aux soubresauts, c'est un peu la guerre. Un groupe de touristes me filment depuis leur jeep. La conductrice m'apprendra que le pont n'est pas cassé mais que la rivière a dévié de son cours rendant l'accès impossible.
Le chemin monte ensuite vers la forêt de bouleaux dont parlent les guides touristiques. Les forêts sont rares en Islande. Celle-ci surmonte les collines encadrées par deux bras du fleuve Markarfljót. Le sentier est rupestre à souhait. Les bouleaux délimitent le sentier en tordant leurs troncs dans tous les sens, comme s'ils essayaient de m'encourager à continuer … ou à rebrousser chemin. De petites montées en petites descentes, le sentier s'achève aux portes de la rivière Ljósá. C'est un gué, à passer. Et il n'est pas petit.
Je cherche un endroit me permettant de traverser sans changer de chaussures. Rien.
J'échange mes chaussures et chaussettes de randonnée contre mes sandales et remonte mon pantalon en toile au dessus des genoux. Le temps de me changer, une vingtaine d'allemands arrivent du coté opposé pour me voir à l'oeuvre, et commettre une erreur. Au début du trek, à Skógar, deux anglais m'avaient expliqué la meilleure technique pour traverser. Je passe comme on me l'a indiqué : en allant de biais contre le courant et à petit pas de crabe, en ne passant jamais un pied devant l'autre. Mais la rivière au centre est haute et mon pantalon en toile est rapidement mouillé, d'autant que le courant me fait presque vaciller. Ne jamais garder son pantalon : la traversée doit se faire en slip. Et le guide indique au groupe allemand le passage idéal, dix mètres plus loin. En trek, on apprend sur le tas. Je me sèche et repars.
De même que la veille, le paysage change continuellement chaque heure. Les perspectives, la flore et les nuances de vert et de marron ne sont jamais les mêmes. La lumière est très particulière en Islande, et les nuages maritimes décorent le ciel d'incertitude. Terre et ciel rivalisent de métamorphoses. Je contourne une immense colline à mi-hauteur pour atteindre un petit plateau sur lequel le vent retombe en fouettant le visage. La lumière du soleil est intense mais aucune ombre, si ce n'est la mienne, ne peut en témoigner. Puis je parcours un ancien lit de rivière, dont la rive se découpe en strates creusées sur plus de trois mètres. Des herbes lumineuses agrémentent le sable sombre et humide du matin. D'heure en heure, je monte très doucement, ayant l'impression de remonter le temps géologique. Le paysage redevient austère, pierre et poussière. Je remarque une boule de petites fleurs jaunes oranges posée au milieu de la plaine. Elle a le monopole de l'idée et de l'indiscrétion car elle est la seule fleur alentour. C'est pourquoi elle semble si lumineuse. Je l'immortalise par une photographie. A quelques centaines de mètres, j'entends le fleuve Markarfljót rugir du fond d'un ravin. Les reliefs sont tout de même plus doux, plus arrondis que la veille. Parfois, je découvre soudainement un petit ruisseau ayant creusé sa voie dans la terre et la roche. Quelques plantes recréent un microcosme sur ses abords. A savoir, est-ce l'eau qui fait son nid dans la poussière ou la flore qui fait son lit dans le sien?
Les montées ne durent jamais plus de cinquante mètres. Elles sont peu nombreuses bien que parfois raides. Mais cela n'a rien à voir avec les dénivelés que nous avons dans les Pyrénées et les Alpes, bien plus difficiles.
A force de rêvasser et de prendre des photographies, il est déjà dix-huit heures et je ne vois pas le refuge. Légèrement inquiet, je sors enfin la carte pour la fixer autour du cou dans le porte-carte imperméable et je garde le GPS à portée de main dans une pochette fixée à la ceinture du sac-à-dos. J'attaque un rythme un peu plus rapide pour redescendre une vallée. Le fleuve s'entend au fond d'une gorge longeant un des deux versants. Je me ravitaille aux abords d'un affluent en remplissant ma poche d'eau. Un ravissant spécimen d'Angélique, penché sur l'eau des montagnes, ne demande qu'à être pris en photo. Je ne me fait pas prier d'autant que je ne l'avais vu que de très loin jusque là. Le soleil est dégagé et il fait doux. Je m'allonge quelques temps sur l'herbe car le refuge n'est plus très loin.
L'Angelica Archangelica s'appelle communément l'herbe aux anges ou Angélique, pour ses vertus magiques. Je les croyais rares en début de voyage mais le trek me montrera des nids très denses. Je fis souvent des pauses au sein de ces nids pour m'entretenir avec elles de nos ombres respectives.
Première nuit dans l'intérieur des terres islandaises à altitude moyenne. J'espère que le climat ne sera pas trop dur avec mon sac de couchage conservant la chaleur jusqu'à moins sept degrés. Réveil prévu demain à six heures trente. N'ayant presque plus de batterie pour l'appareil photographique et puisque qu'il n'y a pas de courant alternatif dans les refuges de montagne (juste de l'énergie solaire pour l'éclairage), demain sera une journée avec très peu de photographie. Cela me poussera à adopter un rythme de randonnée soutenu. Sous l'impulsion d'une telle marche et d'une respiration pleine d'énergie, les paysages sont appréciés différemment.
Je me souhaite une bonne nuit.