Principal massif du Maroc, le Haut Atlas compte plus de 400 sommets culminant au-delà des 3000 mètres, parmi lesquels la plus haute montagne d’Afrique du Nord : le Mont Toubkal. En piste pour une semaine de trek avec un objectif de taille : titiller les 4167 mètres du Toubkal, après une ascension raide et ventée. « Camp de base » de cette aventure, la foisonnante Marrakech, cité impériale métissée, réserve une découverte sensorielle, entre jardins et souks colorés.
Bienvenue à Marrakech !
Je suis arrivée avec le Ramadan. En ce neuvième mois de l’année lunaire musulmane, qui tombe cette année en plein été. Sous un soleil impitoyable, par une chaleur torride… Ni la soif ni la faim n’arrêtent pour autant le flot de passants affairés dans les ruelles de Marrakech et le balai bruyant des mobylettes qui vous frôlent avec (c’est à espérer) une rare maîtrise.
Aux avant-postes du Haut Atlas, la médina grouillante m’a ouvert ses portes ouvragées un peu trop brusquement. Une femme drapée de noir s’est emparée de ma main pour un très « touristique » tatouage au henné. Aïe, ça brûle ! La substance qui, ajoutée à la poudre colorée, permet de fixer le dessin sur la peau n’est assurément pas 100% bio…
A peine effleurée, Marrakech se livrera sans doute mieux à mon retour, pour clore en beauté cette immersion en terre berbère. L’heure est aux préparatifs du trek du lendemain que je réalise avec Sur les Hauteurs. Et la tête déjà dans les nuages…
Coucher de soleil sur le minaret
+ 600 m / – 400 m 5h30Départ matinal pour rejoindre, en véhicule, le village d’Imi Oughlad, à 1400 mètres d’altitude, où notre première équipe de muletiers s’empresse de répartir les charges sur le dos de leurs bêtes. Où se trouve donc la pauvre mule qui devra supporter le poids de mon matériel photo ? Que je lui prodigue quelques caresses d’encouragement…
La mise en jambe, sous une chaleur accablante, nous amène à regretter de ne pas avoir investi, à Marrakech, dans un « chèch »… Après le premier col à 2000 mètres, Tizi N’Tacht, nous redescendons vers un auvent de roche abritant notre déjeuner : une copieuse salade composée. La descente serpente entre des cultures en terrasses jusqu’au village de Tizi Yane, à 1680 mètres, qui nous héberge pour la nuit.
Juste avant le coucher du soleil, Rachida et ses soeurs vont et viennent en courant, sur un toit en terre battue surplombant la mosquée. Sur la tête : des corbeilles de pain chaud destiné à remplir les estomacs des villageois affamés après la levée du ramadan.
Depuis le bivouac sur la terrasse, un plafond étoilé s’offre en test à notre modeste connaissance des constellations. Quelque part dans la voie lactée, Véga est identifiée… La suite de l’autopsie céleste attendra demain. Enfin demain, c’est-à-dire 3h du matin… Lorsque ânes, coqs, chiens, chèvres et chouettes se sont enfin tus et qu’une mélopée entêtante s’échappe sans préavis – ramadan oblige – du minaret tout proche. Quelques mélodieux versets du Coran chantés au creux de l’oreille (ou presque) par le muezzin, avant de goûter à nouveau à quelques heures de repos.
L’appel de la bergerie
+ 700 m / – 250 m 5h30Nous quittons la vallée d’Azaden pour suivre le lit de l’Oued, entre ruisselets et canaux d’irrigation. Femmes et enfants chantent à tue-tête, derrière les noyers et les plantations d’arbres fruitiers qui bordent l’Oued.
Après le village de Tizi Oussem, quelques passages escarpés nous mènent sur un sentier en belvédère, dominant la Gorge où s’égrènent cèdres aux troncs torturés et chênes verts.
Une fois repérées, les bergeries Azibs Tamsoult, à 2450 mètres, ne sont plus qu’à quelques enjambées. Nous nous écroulons pour le déjeuner, sous la tente berbère, avant d’entreprendre une escapade vers la cascade de Tamsoult, 200 mètres plus haut. En guise d’appel à la prière cette nuit, un agneau égaré de la bergerie bêle désespérément en cherchant sa mère et le troupeau…
Aux pieds du Toubkal, un village en effervescence
+ 300 m / – 600 m 5h00Plus matinaux que nous, les chèvres noires et leurs bergers pressés, chevreaux sous le bras, traversent successivement le campement. Certaines biquettes téméraires se réfugient dans les arbres et les chiens tentent de les faire avancer. Nous empruntons un sentier en encorbellement à travers les genévriers thurifères jusqu’au col Tizi n’Mazik, à 2400 mètres.
En vue : la vallée d’Imlil et ses cultures en terrasse, vers lesquelles nous redescendons. Nous rejoignons en fin d’après-midi une large piste avant de traverser des « mini-souks » où tapis et chèch poussiéreux battent au vent. Un tout premier aperçu du Toubkal vient gratifier cette descente monotone : dans les trouées de nuages, sa silhouette se profile enfin, imposante masse noire ourlée de crêtes.
Halte pour la nuit dans un gîte de l’accueillant village d’Aremd, accroché à une colline caillouteuse. Le four à pain crépite dans l’attente de la rupture quotidienne du jeûne. De jeunes femmes au front ridé se courbent sous le poids des ballots de paille qu’elles chargent sur des ânes, sous la houlette du patriarche. Quelques adolescents transportent en courant des sacs de ciment de 50kg tandis que rassemblées sur des marches, une dizaine de jeunes filles entre 14 et 19 ans plaisantent à mon sujet : « Mariée ? Des enfants ? » Mes quelques rudiments de berbère ne suffisent pas me faire comprendre. Je me contenterai de gestes universels. « A quoi rêvez-vous ? »… la barrière de la langue nous impose parfois d’aller à l’essentiel.
La plupart d’entre elles sont déjà mariées, avec pour certaines, des enfants en bas âge. Je me relève en annonçant mon départ et dix visages voilés, auréolés de candeur, se tournent vers moi en un même élan : « Emmène-nous en France » !
Refuge Neltner, agitation multilingue
+ 1200 m / – 0 m 5h00Ce soir, si tout va bien, nous aurons rejoint notre « camp de base » : le refuge Neltner, incontournable point de départ de l’ascension du Toubkal. Depuis Aremd, nous progressons au cœur d’une morne plaine de cailloux. Nous retrouvons la végétation en attaquant la montée en rive droite avant d’atteindre le Marabout de Sidi Chamharouch. Entouré d’un « souk » improvisé, un rocher recouvert de peinture blanche possèderait des vertus thérapeutique contre les troubles psychologiques et permettrait de retrouver la Baraka (« bénédiction d’Allah »). Fi de l’aura sacrée du lieu et place au mercantilisme. Les commerçants nous interpellent : « Achetez nos babouches climatisées et nos tapis volants pour virevolter sans effort jusqu’au Toubkal ! Eh la gazelle, tu es sûre que tu n’as besoin de rien ? » « Euh… un chèch, peut-être ? »
Foulards sur la tête, nous repartons définitivement protégés du soleil. Un panneau rappelle que le parc national du Toubkal a lancé un programme de conservation du Gypaète barbu (appelé « Merz Ikhsan » en berbère ou « casseur d’os »). La dépose d’os et la sensibilisation de la population locale tentent de préserver les rapaces, qui représentent ici les derniers spécimens d’Afrique du nord.
Une montée en rive gauche nous mène enfin au refuge Neltner, à 3200 mètres (en hommage au français Louis Neltner, chargé de dessiner la carte géologique du Haut Atlas Occidental). Toutes les nationalités convergent vers le large bâtiment en pierre avant « l’assaut » final du plus haut sommet d’Afrique du Nord. Tentes d’expédition dressées en pagaille sous un ciel menaçant, cliquetis des sardines plantées à coups de pierres sur un sol rebelle, refuge bondé à l’heure du thé, foire d’empoigne du côté des douches, piaillements multiculturels… Pour ainsi dire : un vrai souk ! Ne sommes-nous pas censés nous retrouver en haute montagne ?
Des maçons marocains, qui travaillent à l’agrandissement du site, chantent à gorge déployée à l’intérieur du refuge. La nuit tombe, glacée, mais le ciel, de plus en plus dégagé, porte la promesse d’une éclaircie matinale.
Toubkal, 4167 mètres : Jour J
+ 1000 m / – 2200 m 10h00Départ à la frontale, au petit matin. Avec l’espoir de se frotter humblement au Toubkal, gravi officiellement pour la première fois le 12 juin 1923 par le marquis de Segonzac… et officieusement atteint par de nombreux berbères avant lui ; en témoignent ces cairns découverts lors de son ascension.
La première pente est rude. Pour les moins préparés, victimes de malaises ou tout simplement pris de fatigue, cette montée raide, dans l’ombre et le vent glacé, signe souvent le retour au refuge. Il faut attendre 8 heures du matin pour basculer enfin dans une autre dimension : celle, plus engageante, de la lumière et des crêtes découpées au scalpel au-dessus d’une splendide mer de nuages. S’ensuit un passage un peu plus technique, qu’Hussein, notre guide, se charge de nous rappeler : « attention aux plaques de neige et aux pierres glissantes ». Passés les 4000 mètres, notre vigilance est mise à l’épreuve.
L’arrivée sur le sommet est grisante : quelle vue imprenable depuis le « toit de l’Afrique du Nord » ! A 4 167 mètres, rien ne nous échappe : la plaine de Marrakech, les vallées du Haut Atlas Occidental, le Djebel Sirwa et même le Sahara au Sud. Les groupes se succèdent. Chacun passe du « hourra » aux larmes puis au silence contemplatif. Déjà, nous devons redescendre… Sur cette même pente abrupte laborieusement gravie. De pierres en pierres, de glissades en glissades… Avant d’entamer la longue dégringolade jusqu’au village d’Aremd. Thé à la menthe et tajine de légumes raviront nos papilles au terme de cette journée mémorable.
Informations pratiques
Un grand merci à Sur les Hauteurs, au groupe de l’ASSM Randonnée Pédestre de St Médard en Jalles, à nos guides-accompagnateurs Xavier, Mohammed et Hussein ainsi qu’aux deux équipes locales de muletiers-cuisiniers.
Avec qui partir ?
Sur les Hauteurs a organisé cette randonnée dans le Haut Atlas marocain.
Difficulté
pour bons marcheurs pratiquant déjà la randonnée, étapes de 5h à 6h en moyenne (excepté les étapes d’ascension de sommets où les durées seront plus longues
environ 8h de marche) sur des sentiers millénaires.
Quand partir ?
De début mai à mi-octobre en général selon conditions météo.
Petit lexique-francà-berbère … indispensable pour mieux comprendre noms, cheminements et traditions
- Berbère ou Imazighen : désigne les ethnies d’Afrique du Nord et notamment des régions montagneuses du Maroc, islamisées au début du 8ème siècle et présentant une culture et une langue commune
- Azib : bergerie d’altitude
- Tizi : col ou passage entre les massifs
- Oued : fleuve ou rivière
- Djebel ou Jbel : montagne ou massif
- Ighil : crête ou mont
- Aït : « fils de », marque l’appartenance
- Bab : porte
- Medina : ville, centre-ville
- Choukrane : merci
- Bezef : très, beaucoup
- Ichoua : bien, bon
- Bismillah : Louange à Dieu !
- Isla bas ? ‘Sla bas : ça va ? ça va !
- Bislamah : au revoir
- Inch’Allah : Si dieu le veut !, est utilisé dès qu’il y a une notion d’avenir dans une phrase
Journaliste & photographe de voyage depuis 2001, j’aime partir à l’aventure "à pied, à cheval, en voiture" comme qui dirait… Mes zones de prédilection ? L’Amérique du sud, l’Asie Centrale et, en général, tous ces endroits de "wilderness" que je parcours avec un émerveillement sans cesse renouvelé. Je me spécialise également, depuis quelques années, dans la conception de carnets de voyage et l’illustration en relief. Ma hantise lors de mes retours en France ? Les passages de douanes et les excédents de bagages, avec toutes ces peaux de chèvres, plumes de dindons et autres bouses de yack que je ramène et qui occupent une place de choix dans mes carnets !
Bonjour Céline,
J’envisage de me rendre au Toubkal en octobre 2019. La période te semble t’elle bien ?
Merci beaucoup,
Quentin
Octobre, c’est généralement la période limite pour se rendre dans le Haut-Atlas.