Rencontre avec Marianne Chaud

Pour la sortie de la nuit Nomade, le 3ème film de Marianne Chaud sur le Ladakh, I-Trekkings a rencontré la réalisatrice ethnologue dans un bar parisien. Une interview sur une des plus belles terres de trekking de l’Himalaya où le nomadisme est entrain de vivre ses dernières années. Rester nomade ou se sédentariser ?

Après Himalaya le chemin du ciel et Himalaya terre des femmes, La nuit nomade, le nouveau film de Marianne Chaud est sorti en salle le 4 avril. Avec ce nouveau documentaire sur le Ladakh, elle clôture sa trilogie himalayenne et fait du nomadisme des hauts plateaux du Karnak le sujet central du film. Pendant encore combien d’années les Ladakhis pourront-ils exercer leur nomadisme ? Leur destin est-il obligatoirement lié à la sédentarisation ? Est-on plus heureux à Leh ou dans ses montagnes en compagnie de ses chèvres et de ses yaks ? Autant de questions que Marianne Chaud aborde avec sensibilité et pudeur tout en nous permettant de découvrir le quotidien de ces nomades.

Nomade du Karnak © ZED / Marianne Chaud / Maximilian Essayie

Marianne, avant de parler plus spécifiquement de ton nouveau film La nuit nomade, peux-tu nous dire comment tu as tissé tes liens avec l’Inde et le Ladakh ?

Je rêvais d’aller au Népal depuis que j’avais 10 ans. J’ai toujours eu un attachement fort aux montagnes parce que je viens d’un petit village des Hautes-Alpes qui s’appelle Puy-Saint-Vincent et que mes grands parents paternels étaient agriculteurs. J’ai commencé à faire de l’alpinisme avec mon père. Dans mon entourage, beaucoup d’alpinistes partaient au Népal faire des expéditions et revenaient avec des photos et des histoires.

Je rêvais d’aller au Népal et je suis finalement allé en Inde dans le Rajasthan avec un ami de ma mère qui était bénévole dans une association d’échanges entre femmes françaises et indiennes. Ce voyage fut un choc. J’avais 19 ans et je ne comprenais absolument rien à ce qui m’entourait. Je ne m’imaginais pas qu’on pouvait à ce point être différent. C’est vraiment l’altérité qui m’a donné envie de revenir en Inde. N’ayant pas les cartes pour comprendre le pays, je voulais savoir parler la langue et comprendre la religion et la civilisation indienne.

En parallèle de mes études de lettres modernes, j’ai donc appris le Hindi. Je suis partis un an en Inde pour mon mémoire de maîtrise pour étudier le théâtre indien. Au cours de ce séjour, je suis allé au Sikkim à l’occasion du Losar, la nouvelle année tibétaine. Il y avait des fêtes monastiques dans les villages ; j’ai été subjugué de suite. J’ai immédiatement compris que l’ethnologie me serait nécessaire pour mieux connaître les populations himalayennes bouddhistes.

Pascale Dollfus, ethnologue au CNRS, me conseilla en 2000 de me rendre au Ladakh pour étudier le théâtre populaire ladakhie. J’ai marché de long en large pendant trois mois au Ladakh pour découvrir la région avant de me consacrer à mon DEA.

Depuis, je retourne tous les ans dans l’Himalaya indien.

Tundup © ZED / Marianne Chaud / Maximilian Essayie

Tu as appris le ladakhi lors de ce 1er voyage ?

Un petit peu lors de ce premier voyage mais je faisais appel à un interprète car mon niveau de ladakhi n’était pas suffisant. C’était très fastidieux avec l’interprète car les messages ne passaient pas toujours dans un sens comme dans l’autre. Il me fallait donc parler la langue pour pouvoir approfondir mes recherches. Je suis partie dans un village où personne ne parlait anglais et il a fallu que je me mette à parler le ladakhi.

L’apprentissage a été long et mon ladakhi est encore loin d’être parfait.

La nuit Nomade est ton 3ème film sur le Ladakh. En quoi était-ce important de faire un film sur le nomadisme ?

J’avais fait un premier film sur les femmes dans un village qui mettait en lumière l’importance des moissons et l’équilibre fragile des agriculteurs vis-à-vis de leur terre. Avec le second film, j’ai eu envie d’aller dans un monastère et de vivre un hiver là-bas.

Avec la Nuit Nomade, je rêvais de vivre chez les nomades et cela venait clôturer d’une certaine façon les trois façons de vivre au Ladakh : le village, le monastère et le nomadisme. Le premier était sur les femmes, le second sur un enfant et ce dernier sur les hommes.

© ZED / Marianne Chaud / Maximilian Essayie

Sur les hommes…

Oui, avant de partir, je voulais filmer des hommes. C’était un peu comme un challenge car c’est plus facile pour moi de filmer des femmes. Dès que j’ai rencontré Tundup, j’ai tout de suite su qu’il allait être le personnage central du film. Nous sommes très proches l’un de l’autre mais notre relation a plus de retenue qu’entre deux femmes parce la société ladakhie est très pudique, encore plus sur les relations homme/femme.

Et les femmes en ont pensé quoi que tu filmes les hommes ?

Pour la première fois, j’ai eu la chance de partir avec mon compagnon. Le film a été possible aussi grâce à ça. Si j’étais arrivée seule au milieu des nomades, les femmes auraient trouvé ça suspect et les hommes seraient venus gratter le poil. C’est grâce à mon compagnon que j’ai pu passer des journées avec Tundup. Seule, j’aurais filmer des femmes à nouveau.

A un moment dans le film, Dholma se demande pourquoi je filme son mari. Ce qui m’intéresse, c’est de montrer que la relation se construit en même temps que le film. Au départ Dholma ne me fait absolument pas confiance ; et à la fin, on voit bien que nous sommes proches l’une de l’autre.

© ZED / Marianne Chaud / Maximilian Essayie

Un film sur le nomadisme donc…

Avant de rejoindre les nomades, je savais que la communauté était en difficulté et qu’elle était entrain de s’amoindrir. Au cœur de ma problématique, on avait donc la disparition du nomadisme.

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Les 6 mois de tournage correspondaient à la durée de mon visa indien mais aussi à la période d’estive de la communauté. Je savais qu’en octobre venaient les bouchers et que mon film se clôturerait par leur arrivée.

Mais, je ne connaissais pas du tout les nomades avant d’arriver et ceux sont eux qui font le film et l’anime. La communauté n’était pas informée de notre venue. Quand nous sommes arrivés, ils se sont réunis et ont donné leur accord. Nous devions nous acquitter d’un loyer pour planter la tente sur leur territoire. D’autres équipes de tournage étaient déjà venues chez eux. Très rapidement, ils nous ont dit « la caravane de yaks c’est 20 000 rps, le mariage, c’est 10 000… ». Ils étaient prêts à faire de la mise en scène parce que c’est ce qu’on leur demande habituellement. Ils ont été très surpris que je veuille filmer leur vie quotidienne.

Tu filmes en caméra subjective tout en dialoguant avec tes personnages. Pourquoi ce choix ?

Les documentaires font généralement croire que la caméra est invisible et qu’elle n’influence pas les gens qui sont entrain d’être filmés. Faire comme si la caméra n’était pas là me paraît très bizarre. Autant, ça me semble pertinent dans une fiction, dans un documentaire cette approche est mensongère.

Filmer tout en dialoguant avec les ladakhis m’a permis de nouer des relations avec les personnages. C’était la seule façon que la relation puisse exister entre eux et moi.
Et puis mon souhait final, c’est que le spectateur prenne ma place et qu’à la fin il ait l’impression d’avoir un ami au Karnak. J’ai envie qu’ils connaissent mieux Tundup. C’est un homme avec sa singularité et sa complexité, qui incarne d’une certaine manière sa communauté et de façon plus large les nomades et l’humanité. C’est cela qui m’intéresse. C’est d’être au plus prêt du plus prêt de l’individu pour en sortir une vérité universelle. Les nomades ne sont pas exotiques. Ils ont des souffrances, ils ont des questions proches des nôtres et ils rêvent de bonheur comme nous.

Il y a aussi dans la mise en scène de mon point de vue l’envie d’atteindre une égalité entre eux et moi. C’est l’idée que la caméra leur appartient autant à eux qu’à moi et qu’ils peuvent me questionner aussi. Et puis à bien y réfléchir, c’est très naturel chez moi de filmer ainsi.

J’aime bien le moment du film où Tundup me demande si je suis encore malade. C’est émouvant parce que ce n’est pas toujours moi qui est entrain de les regarder et de les questionner. On sent qu’en souterrain du film, il y a toute une vie partagée qui prend de la valeur petit à petit.

Marianne Chaud © ZED / Marianne Chaud / Maximilian Essayie

C’est aussi le cas quand Tundup te demande s’il doit se sédentariser ou non ?

Oui. On sent à ce moment du film qu’il y a du temps qui s’est écoulé, qu’une relation s’est approfondie et qu’une confiance s’est installée.

J’étais complètement perdu face à sa question car je ne savais pas quoi répondre et d’ailleurs je ne sais toujours pas quoi lui répondre aujourd’hui. Je n’ai surtout pas voulu juger sa décision et je ne voulais pas le conseiller.

Tundup est assez pessimiste sur le nomadisme. Il sent que c’est la fin de ce mode de vie. Son point de vue est-il représentatif des nomades du Rupshu ?

Je pense que Tundup est représentatif des nomades du Ladakh même si je ce n’est pas ce que je cherchais quand je l’ai choisi. Son point de vue est très complexe. A un moment, il conçoit qu’il doit partir à la ville et qu’il ne peut rester au Karnak. A d’autres, il me fait savoir que peut-être il est encore possible de lutter. Tundup est un peu perdu face à cette question et personne n’a de réponse. Jusqu’à la fin du film, on ne sait pas quelle décision sera prise par les nomades de la communauté.

On ne comprend pas vraiment les raisons de ceux qui partent. Elles ne sont pas si évidentes que ça. Il y a vraiment le choix de rester. Dans le film, j’ai voulu confronter l’individu à sa communauté. Ils savent que plus ils partent, plus ils affaiblissent la communauté. Quel est leur libre arbitre ? Leur raisonnement est finalement assez pragmatique. Où je vais être le plus riche ? Où je serais le plus heureux ? Comment faire pour mettre les enfants à l’école ?

Et le prochain film ?

Ça sera une fiction qui sera tournée dans l’Himalaya aussi. Je suis entrain de l’écrire. Je ne vous en dis pas plus. C’est secret.

En attendant, il y aura un making off sur la trilogie au Ladakh. On va retourner dans tous les villages et voir ce qui s’est passé depuis 10 ans.

La vie Nomade
Mini-bio de Marianne Chaud

  • 1976 : naissance à Briançon.
  • 1996 : premier voyage en Inde.
  • 1998 : séjour d’un an à Bombay dans une famille indienne et première découverte de la culture bouddhiste du Ladakh.
  • 1999 : Itinérance de 6 mois au Ladakh pour collecter des informations sur le théâtre populaire ladakhi.
  • 2004 : Participation à l’émission d’Ushuïa Nature en tant que spécialiste scientifique.
  • 2005-2006 : Coauteur et assistante de réalisation pour le film Devenir une femme au Zanskar produit par Zoologic and Ethnologic Documentary (ZED) et diffusé sur France 5 en mai 2007.
  • 2006 : Tournage d’ Himalaya, la terre des femmes au Zanskar. Produit aussi par ZED, le documentaire est diffusé sur Arte en juillet 2008.
  • 2009 : Réalisation de Himalaya, le chemin du ciel, qui est nominé aux Césars du film documentaire 2010.
  • 2011 : six mois de tournage avec les derniers nomades des hauts plateaux du Karnak, dans le sud-est du Ladakh. La vie Nomade est sorti en salle le 4 avril 2012.

Plus d’infos : www.lanuitnomade.com

1 réflexion au sujet de « Rencontre avec Marianne Chaud »

  1. J ai ressenti ces reportages comme des initiations car l émotion est palpable j aime surtout le fait d apprendre la langue pour une communication plus personnelle et des apartés à fleur de peau
    Magnifique!!!

    Répondre

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