Aux confins de l’Inde himalayenne, jouxtant le Tibet se situe un ancien royaume où s’affrontent les divinités courroucées du bouddhisme tantrique. Autrefois terre d’échange et de commerce, traversé par les caravanes de la soie, du thé et du sel le Ladakh était connu des marchands comme l’une des étapes les plus difficiles sur leur route reliant Cachemire et Tibet. Une étape qui n’usurpait pas son nom, puisque Ladakh signifie “pays des hauts cols” en tibétain. Abritant quelques uns des treks les plus mythiques de la planète, tels la “traversée de la Chadar”, celle du Zanskar ou la route du Spiti, le Ladakh offre encore des itinéraires peu ou pas fréquentés où l’on croise la grande faune himalayenne et quelques nomades changpas.
Au monastère d’Hemis
“Julley, julley” le salut ladakhi résonne dans la petite gorge qui jouxte le monastère d’Hémis . Cela fait maintenant six jours que nous sommes arrivés au Ladakh, via Leh. Six jours passés à s’acclimater à cet air raréfié qui rend le souffle haletant, accélère notre pouls et nous menace du funeste mal aigu des montagnes. Installés non loin du monastère, chez l’habitant, nous avons également mis à profit ces jours de repos pour assister à l’exceptionnel festival d’Hémis. Les moines de la secte du dragon, parés de costumes et de masques, y jouent, au son des dungchen, les principales étapes de la vie de Padmasambhava, ce moine qui convertit le Tibet au bouddhisme au VIII°s.
Six jours passés à s’acclimater peuvent paraître beaucoup. Mais alors que les clochettes de bronze de nos chevaux de bas sonnent le départ, nous savons à quoi nous attendre pour ce premier jour. Du camp, situé à 3900m il nous faudra atteindre le Kongmaru La à 5285m puis redescendre à 4200m. En tout, une étape de 25 kilomètres qui défie toutes les règles d’ascension progressive en altitude. Mais l’itinéraire est ainsi fait et il n’y a pas d’alternative. Pour découvrir les vallées et plateaux isolés qui nous attendent, le prix est celui de cette dure journée ainsi que d’un trek qui se passera pour l’essentiel au-dessus des 4500m et franchira quatre cols à plus de 5000m.
Village nomade de Thachungtse, la nuit est tombée. Fin de cette première étape après plus de onze heures de marche. Fanny, diminuée par une forte bronchite, n’avance plus que comme un automate agité de soubresauts nauséeux. Et l’émerveillement devant la vue sur les glaciers du Kang Yatse depusi le col cède maintenant le pas devant l’inquiétude qui nous gagne. Ici pas de télécommunication, pas de médecin, pas de caisson hyperbare trop lourd pour notre caravane de sept chevaux. La notion d’engagement prend ici toute sa valeur et l’on ne peut s’empêcher de grommeler un “Qu’est-ce qu’on f… là ?”
Vallée de la Sorra
Les pieds dans l’eau de la rivière Sorra, environné des hauts pics de gneiss, notre bivouac offre des vues imprenables sur le royaume de la panthère des neiges. Malgré les longues heures passées à la jumelles, pas de félin en vue mais d’innombrables gypaëtes barbus, aigles royaux, craves, chocards, bharals et urials, … Pour notre équipe ; Gaitso, Stanzin et Namgyal, ce trek est le premier de la saison et leurs traits tirés, trois jours seulement après le départ en disent long sur ce que ces étapes coûtent aux organismes. Le luxe de voyager à deux, avec une petite équipe locale, c’est de pouvoir adapter le rythme de sa progression à sa santé, à ses envies. Et nul doute que cette pause d’une journée est bienvenue pour tous.
Pangmur La
Dixième jour de trekking. “Ki ki so so lagyalo”. Les dieux sont vainqueurs, les démons sont vaincus. La ritournelle tibétaine ponctue, comme à chaque franchissement de col (La en tibétain), notre arrivée au Pangmur. Lancée au vent, à l’instar des mantras des innombrables drapeaux multicolores qui marquent ces cols, elle semble témoigner de notre joie teintée de surprise d’avoir sû résister aux vents, aux bourrasques de neige, au brouillard que jettent les démons contre nous.
Pangmur La. 5005m. Derrière nous les vallées du Changtang, leurs bosquets de saules, de bouleaux et d’aulnes aux frondaisons gris-vert. Derrière nous ces sentes à peine dessinées franchissant des dizaines de gués chaque jour dans une eau glaciale. Derrière nous ces paysages de nature vierge à couper le souffle et le souvenir comme d’un rêve éveillé de cette rencontre avec un couple de loup himalayens. Et devant nous … les hauts plateaux du Rupshu. Enfin, plateaux, entendons-nous. Si l’essentiel des cols de plus de cinq milles mètres est dernière nous, si le gros des dénivelés est passé, chaque jour à venir continuera à nous offrir son lot de cols à franchir et des étapes de plus en plus longues.
Rencontre avec les kiangs
Quatorzième jour. La météo ne cesse de nous jouer des surprises et nous fait vivre les quatre saisons. Mais bien plus redoutable que le froid ou le vent, la grimpée des températures rend l’air raréfié suffocant. Et c’est pour éviter de marcher aux heures les plus chaudes que nous partons tous les jours aux environs de six-sept heures. Aujourd’hui, cela fait bien trois heures que nous traversons ce plateau monotone sur un chemin rectiligne, sans fin. Au loin quelques collines de 6000m d’altitude et un minuscule canyon d’où émergent trois silhouettes. D’abord à peine discernables, environnées d’un nuage de poussière elles s’approchent peu à peu. Au petit trot, la tête haute, le corps musculeux les trois ânes sont à présent tout proches. 100 mètres sûrement, pas plus. La rencontre avec le kiang, la dernière espèce d’âne sauvage de la planète, est inouïe. Curieuses, les trois femelles nous observent, nous hument, nous suivent trois bons quarts d’heures durant puis s’évanouissent vers les montagnes. Les jours suivants les rencontres se multiplieront et seront marquées chaque fois de la même curiosité et de cette même façon de nous toiser, de mesurer de près le prédateur que nous pourrions être.
Le camp nomade de Tso Moriri
Voilà bientôt dix heures que nous marchons, longeant la vallée de la Phirtse. Après avoir essuyé, au petit matin, une incroyable tempête de neige mêlée de pluie c’est le tonnerre qui gronde en cette fin de journée, derrière nous. Le ciel est plombé et les lumières inouïes. En l’absence de chemin, nous marchons sur les bancs de galets et quand le cours torrentueux de la rivière nous y contraint, gravissons la berge haute de quelques dizaines de mètres. Enfin la vallée s’élargit. Derrière les bancs de galets, si importants que nous ne parvenons plus à en distinguer les limites, s’esquisse la lumière turquoise de Tso Moriri. Situé à 4600m cet immense lac est une oasis dans le désert d’altitude ladakhi. La famille nomade que nous rejoignons à cette antépénultième journée y a installé son camp d’été est élève ici moutons, yaks et chèvres cachemire. Des troupeaux qui partageront l’herbe verte et abondante avec nos braves petits chevaux, amaigris et marqués par ce long trek et ce malgré les soins attentifs de Namgyal.
A peine les tentes installées que s’abat sur nous une nouvelle averse torrentielle. Sous la tente, le thé nous réchauffe. Un hamster cherche refuge sous l’auvent tandis que non loin, les oies à tête barrée font le dos rond sous la pluie. Nous passerons la journée de demain à explorer les berges du lac, à savourer ces derniers instants de quiétude avant de rejoindre le village de Korzok, relié par une piste carrossable. Ici seul le tintement des clochettes et les abois des chiens de troupeau trouble le silence. Et l’on se prend à rêver de prolonger le chemin, là-bas, de l’autre côté du lac, par delà d’autres hauts cols, vers la mystérieuse “terre du milieu”, le Spiti.
Vous cherchez une idée de trekking original dans le nord de l’inde ? Allez lire le récit de Bernard sur son trekking dans la Miyar Valley.
Informations pratiques
L’accès se fait par vol international Paris – New Dehli d’un vol interne jusqu’à Leh, capitale du Ladakh. Pour trouver votre billet d’avion au meilleur prix, utilisez le comparateur de vols sur I-Trekkings.
Ce circuit “à la carte” a été réalisé avec le soutien de l’agence Tamera et en s’appuyant sur les documents suivants :
- Guide “Indian himalaya trekking guide” édité par Terra Quest – présente l’ensemble des zones de trekking en Inde
- Guide “Trekking in Ladakh” par Charlie Loram édité chez Trailblazer publications, un incontournable pour les anglophones sur le Ladakh, ses zones de treks, sa culture, faune, flore, etc.
- Cartographie. L’excellente série 1:150 000 “Cartes du Ladakh – Zanskar” éditées chez Olizane est un outil indispensable, complété par un guide en français intitulé “Ladakh – Zanskar, avec 22 itinéraires de trekking dans l´Himalaya indien“.
Du fait d’une arrivée en avion à 3500m et d’un parcours en relative haute altitude, il comporte 6 jours d’acclimatation à Leh puis chez l’habitant, à Shara, non loin du monastère d’Hémis.
Formalités : le passeport est obligatoire, il doit être valide 6 mois après le départ. Un visa touristique est également obligatoire. Les formalités sont réalisables partiellemennt en ligne. Pour les ressortissants français, il existe une solution e-visa indien, valable pour les séjours de moins de trente jours.
Environnement : Désert de haute altitude, le Ladakh est particulièrement fragile et l’occidentalisation des modes de consommation des locaux, combiné à l’afflux massif de touristes (tourisme indien et étranger) pèse lourdement sur ses écosystèmes. Acculturation, consommation de ressources peu abondantes, déchets pour lesquels il n’existe pas de solution de traitement local, faune menacée par le dérangement, … autant de menaces qui doivent inciter à se renseigner préalablement au voyage et adopter les bons gestes. On ne peut qu’inviter à lire les excellents conseils de Charlie Loram sur ce sujet distillés dans le guide cité ci-dessus et à fréquenter l’association Dzomsa, dans le centre de Leh, non loin de la rue principale qui propose de nombreux services tels la vente d’eau filtrée (pour éviter les bouteilles plastiques), un service de pressing écologique et de nombreux produits locaux constituant autant de souvenirs plus intéressants que les babioles made in China qui inondent les marchés ” prétenduement tibetains”.
Reportages d’itinérances à pied, à la pagaie et à ski-pulka