8h30, 47°C, pas d’ombre. La sueur perle sur mon front et, au contact des vapeurs soufrées, se transforme en gouttelettes acides qui brûlent les yeux. L’odeur d’œuf pourri caractéristique du volcan se mêle aux exhalaisons de chlore et contraint à porter un masque, rendant la chaleur plus suffocante encore. Bienvenue dans une autre dimension ; celle de la dépression du Danakil. Altitude moyenne : 140m sous le niveau de la mer. Nous sommes ici à l’extrémité Nord de la Rift Valley. Protégés d’un raz de marée des eaux de la Mer rouge par un fragile cordon de volcans erythréens. Et le risque, bien que non immédiat, est réel. Il s’est déjà produit à tant de reprises que la succession de phases d’engloutissements et d’assèchements a déposé ici près de 2000 mètres d’épaisseur de sels. Et c’est au cœur de ce “lac” assèché, le lac Karoum, que brûle le feu d’un volcan baptisé Dallol. Son relief très atténué et son activité peu démonstrative ne permettent de le distinguer qu’à faible distance. Son ascension est rapide mais avec la chaleur suffocante dans cette zone, souvent qualifiée de plus chaude de la planète, le cœur palpite, s’emballe sous l’épaississement du sang. La déshydratation est ici un danger mortel réel, le coup de chaud un risque permanent.
Petite pause avant d’atteindre la caldeira ; pas un végétal, quelques oiseaux gisent ici sans vie, sans doute intoxiqués par le monoxyde, ce gaz volcanique inodore, tueur sournois. La sécurité dépend des autres et l’on échange coups d’œils et prise de nouvelles pour vérifier que tout aille bien.
Que diable est-on venu faire dans cet enfer ? Quelques pas encore et la réponse explose à nos yeux ; irréelle, inconcevable … Les mots manquent et il est vain de tenter de décrire l’explosion de couleurs, la magnificence du décor qui s’offre à nous. Le ruissellement des eaux de pluies qui tombent sur les hautes montagnes éthiopiennes vient jusqu’ici se mêler à la chaleur du volcan et au socle de sels pour créer une activité hydrothermale unique. Le cœur de la Terre bat à ciel ouvert. Chuchotements, effusions, borborygmes, geysers, l’inanimé prend vie.
10h30. Nous déambulons sur le site, marchant par sécurité à quelques mètres les uns des autres, veillant à ne pas percer la fine croûte de cristaux qui nous sépare des bouillonnements acides. Quelques clichés, se baisser précautionneusement, veiller encore aux gaz lourds et rampants. Petit coup de chaud pour une participante, les 5 litres d’eau à boire quotidiennement ne suffisent pas toujours et nous quittons le site par d’étonnants canyons tapissés d’aiguilles creusées dans le sel, … chute interdite.
Des hommes en enfer
Une étendue blanche, éblouissante sous le soleil : c’est le lac Karoum. Au milieu de cette fournaise de lumière et de chaleur quelques hommes s’activent, rendus minuscules par l’immensité de l’espace. Hussein, ses amis, leurs dromadaires sont ici, ainsi que quelques autres, pour exploiter le sel. Bien que nous peinions à l’imaginer, leur peuple, les Afars, s’est installé sur les bords du lac et endure quotidiennement le soleil et le sel qui brûlent les yeux et rongent la peau. Cette parcelle d’humanité perdue en enfer commence de bon matin. La croûte du sol est entaillée à l’aide d’herminettes d’un autre âge, puis détachée avec de longues tiges de bois. Les plaques de sel sont ensuite retaillées en rectangles d’égales dimensions.
Les chants qui rythment chaque tâche s’interrompent parfois et nous échangeons quelques sourires, quelques mots d’un anglais approximatif, un morceau de pain. Je m’assieds au sol, échange de regards complices, j’ose une image, déclenche parcimonieusement pour ne pas rompre la magie de la rencontre. La lumière est encore belle, bleutée, les gestes empreints d’une immuable humanité, les visages souriants, la scène est d’une esthétique rare. Mais les cristaux de chlorure entaillent ma peau et me ramène vite à la dure réalité de cette vie.
Au terme de la journée de labeur, quand le nombre de plaques collectées est suffisant, on charge les dromadaires et les ânes. Puis, dans la lumière dorée de la fin de journée, la caravane se met en route pour Bere Hale. Soixante dix kilomètres qu’il faudra commencer à parcourir de nuit pour qu’enfin s’achève pour Hussein et ses amis, cette interminable journée.
Voyage au centre de la Terre
Les heures s’égrènent, lentement, et le paysage noyé de poussière défile derrière les vitres du 4×4 qui nous conduit à l’ultime partie de notre séjour en terre afare. Policiers et militaires armés de kalachnikovs, embarqués à bord des véhicules, nous rappellent l’instabilité politique de la région et le caractère parfois ombrageux des Afars. Mais jusque là, tout va bien. Guy, notre guide, connaît la région comme sa poche et y a noué de solides réseaux et amitiés. Avec quelques bakchichs, il est la garantie d’un voyage serein.
Nous atteignons la fin de la piste carrossable et une caravane de dromadaires prend le relais. Les lampes frontales s’allument à présent pour l’ascension nocturne de l’Erta Ale. Car nous voici dans les pas d’Haroun Tazieff et de Giorgio Marinelli qui gravirent les premiers, en 1968, ce Cap Horn de la vulcanologie. Ne cherchez pas dans les dénivelés – à peine six cents mètres – la difficulté qui en a fait un mythe. Non, c’est dans la complexité d’accès, dans les chaleurs torrides, les sentiers chaotiques et dans la beauté des lacs de laves qu’offrent ses cratères que s’est forgée la réputation de l’Erta Ale.
00H30, le faisceau de la lampe éclaire le bord de la caldeira. Il faut à présent y descendre et approcher les cratères. A quelques centaines de mètres le ciel rougeoie. Nous avançons avec prudence sur les laves cordées cassantes comme de la porcelaine jusqu’à atteindre le bord du Pit cratère Sud. A douze mètres à peine en contrebas, le lac de lave de deux cents mètres de diamètre est agité de soubresauts, la croûte noirâtre zébrée de failles rougeoyantes irradie d’une chaleur qui devient insupportable. Des bulles de gaz projettent des fontaines de laves de six ou sept mètres de haut. Le spectacle est hypnotique et il est bien difficile de se convaincre d’aller poser le sac de couchage à quelques mètres de là pour prendre des forces pour la journée du lendemain.
Nous progressons au petit matin dans l’immensité de la caldeira qui s’étend sur 1,6 km de long jusqu’à atteindre le Pit cratère Nord, en sommeil. En son centre s’échappent les tentacules géantes de laves refroidies, noir onyx rehaussées de quelques touches jaunes de souffre. Mais irrésistiblement le lac de lave nous attire à nouveau. A la lumière du jour la subtilité des teintes rouges nous apparaît ; du rouge carmin au cerise profond, émaillé de vapeurs bleues-vertes des gaz embrasés. Et c’est bien vite qu’arrive le coucher du soleil et notre dernière nuit au cœur du volcan avant d’entreprendre, à nouveau, la longue route vers Addis Abeba.
Informations pratiques
Accès
L’accès se fait par vol international Paris – Addis Abeba, suivi d’un vol interne jusqu’à Bere Ale, dernière ville offrant ravitaillement et possibilités de douches. De là, 175km de routes sinueuses et pistes, parcourues en 5-6 heures nous séparent de Ahmed Ela, village au bord du Lac Karoum. Les conditions climatiques et l’instabilité potentielle de la région imposent de circuler en colonne de trois véhicules minimum, accompagné d’hommes en armes (policiers et militaires). D’Ahmed Ela au pied de l’Erta Ale une bonne journée de 4×4 est encore à prévoir, sur des pistes souvent très difficiles.
Sécurité-santé
La visite des zones volcaniques doit se faire munie des autorisations officielles, de l’équipement de sécurité nécessaire (masques à gaz type ABEK, détecteur de monoxyde, etc.) et avec des guides qualifiés. Un passage dans votre centre de maladies tropicales et infectieuses est indispensable (Vaccins fièvre jaune, méningite, anti-paludéens, …). Les conditions de chaleur et d’hygiène souvent délicates imposent de s’équiper d’une pharmacie personnelle à même de traiter les désagréments les plus courants que sont les maux de tête, les diarrhées, les brûlures (soleil, …), les irritations oculaires et, enfin pour ces dames, les infections urinaires.
Avec qui partir – préparer son voyage
Ce circuit a été réalisé avec Aventures et Volcans dont on ne peut que conseiller le professionnalisme et la passion communicative. Les ouvrages suivants seront d’une excellente lecture en préparation de votre séjour :
- Guide “Carnets de Trek, volcans – Erta Ale, Dallol, lac de sel Karoum” édité par NVB Editions, Paris- présente de façon richement illustrée l’ensemble des détails pratiques pour partir.
- Guide “Ethiopia, Djibouti & Somaliland – 5ed” édité par Lonely planet en Anglais pour un aperçu de la richesse, de la culture et de tout ce qui va vous motiver à revenir dans ce pays fascinant.
- Formalités : le passeport est obligatoire, il doit être valide 6 mois après le départ. Un visa touristique est également obligatoire. Les formalités sont réalisables auprès du consulat d’Ethiopie en France.
Environnement
Les sites sont d’un extrême isolement, les ressources naturelles très fragiles, très peu renouvelables et, de fait, l’impact de l’activité touristique peut être catastrophique. Il va sans dire que tout déchet amené ici devrait être ramené jusqu’à un endroit où son traitement est assuré dans de bonnes conditions, c’est à dire Addis. A cinq litres d’eau par jour et par personne, conditionnée en bouteille plastique, le volume est vite conséquent et l’on pourrait s’attendre à ce que les agences se préoccupent de ce problème. Il n’en est rien ! Dans le plus profond mépris pour l’environnement et les populations locales, véhiculant un modèle de consommation catastrophique, des milliers de bouteilles, de sacs plastiques jonchent le sol. Compactez vos déchets, ramenez le tout à Addis et manifestez, auprès de votre agence, votre mécontentement devant cette situation. Il existe d’excellentes ONG en Ethiopie en mesure d’offrir des solutions simples, ce n’est qu’une question de volonté.
Ici plus qu’ailleurs la question du passage au petit coin mérite quelques précautions. Les WC publics, quand il y en a, ne font guère envie. Le passage dans la nature s’impose souvent. Mais avec une telle chaleur, ne comptez pas sur les bactéries pour effacer vos traces. Brûler son papier et enterrer le reste dans un trou d’une trentaine de centimètres est un minimum pour éviter la propagations de maladies. Pour ceux que le sujet intéresse, je conseille la très saine lecture du désopilant et néanmoins sérieux “Comment chier dans les bois : Pour une approche environnementale d’un art perdu” édité chez Edimontagne, 2001.
Reportages d’itinérances à pied, à la pagaie et à ski-pulka