A l’heure du premier voyage en autonomie
Voici venir l’heure de notre premier voyage en autonomie en kayak. Ma femme et moi, après des années passées à naviguer avec d’excellents guides-moniteurs, à apprendre les gestes techniques, à étudier les dangers de la mer, franchissons le pas. Nous étalons la carte topographique sous les pins du minuscule camping finlandais qui accueille nos derniers préparatifs. Sur le papier figure un morceau de mer Baltique moucheté de vert et de gris. Ce sont les 6500 îles et îlots de Saaristomeren kansallispuisto, le plus grand archipel de la planète. Ce même archipel qui, entre Stockholm et Helsinki ferme le golfe de Bothnie. Notre objectif ? Explorer, deux étés durant, ces îles peuplées d’aigles pêcheurs, d’élans et de phoques.
Côte Est de l’île de Fasta-Åland, partie occidentale de l’archipel, dite d’Åland. Sur la minuscule plage du camping de Vardö nous finissons le rangement de l’équipement et des vivres dans les caissons étanches de nos kayaks. Trois semaines de nourriture, même optimisées, occupent de la place. Notre matinée prend vite des allures de tétris géant, aucun espace aussi minuscule soit-il ne doit être laissé vide. Sachets lyophilisés, fruits secs, vache qui rit et … crème de marron – pour le moral – finissent par entrer. Le kayak de mer est un fantastique outil d’itinérance offrant une capacité de transport et donc une indépendance inouïe !
Nous vérifions une dernière fois la météo et c’est la mise à l’eau. Nos kayaks s’enfoncent jusqu’à la ligne de pont. Avec un tel chargement ils perdent leur caractère joueur mais gagnent en stabilité. Devant nous le confetti d’îlots clairs semble bien moins dense que sur la carte et nous sommes sous le charme de ce paysage maritime parsemé de dalles de granit et de gneiss érodées par les glaciations. Les îles les plus importantes abritent bien quelques maisons, quelques bosquets de pins et parfois des champs mais la plupart sont vierges. Minuscules cailloux ponctués de buissons d’aulnes, de pins et de bouleaux elles sont autant de lieux magiques de bivouac. Le coup de vent inattendu qui se lève en cette fin de première journée nous fait atterrir un peu précipitamment sur l’une d’elle.
Bivouac au royaume de l’aigle pêcheur
Plus de deux mètres d’envergure s’arrachent du squelette d’un pin desséché. A notre approche, le maître de lieux quitte l’île. Le pygargue ou aigle des mers est l’emblème de l’archipel et nous prenons son observation dès ce premier jour pour un joyeux présage. Il faut à présent monter le camp ; et ce n’est pas une sinécure. Tout d’abord sortir les kayaks de l’eau. La faible pente des rochers nous facilite la tâche mais la présence d’algues transforme le terrain en patinoire. Précautionneusement, demi-mètre par demi-mètre nous mettons les embarcations à l’abri des vagues levées par le vent devenu plus violent. Puis monter la tente. Les sols sont maigres, voire inexistants. Pas question de planter des sardines et c’est donc un rituel quotidien que de rechercher les rares galets et éclats de roches pour installer notre tente. La fatigue l’emporte et ni la nuit qui reste lumineuse à cette saison ni les chants des goélands cendrés actifs 24h/24 auprès de leurs poussins ne parviennent à nous empêcher de dormir.
Côte Nord de l’île de Kökar. Six jours déjà que nous progressons en kayak au cœur de cet archipel. Chaque jour la nature nous offre de nouvelles découvertes. A terre la taïga prend parfois des accents méditerranéens avec ses pins et ses fleurs – sedum, géraniums, lins – éclatantes de couleurs. En mer, nous jouons à glisser au plus près de la côte, à explorer chaque recoin avant d’entamer de grandes traversées en compagnie des oiseaux marins dont la diversité est fantastique – macreuses, harles, cygnes, sternes arctiques,… Mais la météo marque un tournant et des vents forts sont annoncés pour plusieurs jours. Le bonheur en kayak de mer appartient à ceux qui savent se construire un programme au jour le jour, au fil des changements météorologiques. Et nous choisissons de débarquer à Kökar, la grande île pour y randonner.
Coups de vent
Onzième jour. Cinq jours déjà que nous sommes retenus à terre par des vents de 5 à 6 Beaufort. Cinq journées à contempler les éléments qui se déchaînent, la Baltique qui blanchit d’écume … et notre tente qui cède sous les assauts de la tempête. Après réparation de fortune de notre abri, nous empruntons les sentiers de l’intérieur de l’île. Ils zigzaguent de chaos granitiques en marais, de forêts de pins et de trembles en landes rases et donnent à découvrir une terre que fréquentaient déjà les hommes à la fin de l’âge de fer. Quelques fondations de huttes de ces chasseurs de phoques cherchent à voler la vedette aux traces des vikings, marchands russes et soldats nazis qui se sont succédés ici. Les jours s’écoulent sans ennui mais avec eux s’évanouissent les chances de poursuivre notre périple tel que prévu et de s’engager vers les îles isolées tout au Sud. Ces mêmes îles qui abritent les colonies de phoques …
Une fenêtre météo, une faille dans le régime de vents forts ! L’occasion est inespérée de quitter Kökar. Nous avons revu nos objectifs, redessiné notre itinéraire. Direction plein Nord, avec l’intention de profiter des îles les plus sauvages tout en s’assurant de pouvoir rejoindre notre point de départ. Un grèbe esclavon agite ses aigrettes couleur or et semble acquiescer à ce changement de programme.
Quatorzième jour. Je passe la tête par la porte de notre tente. Un chevreuil mécontent d’être dérangé s’enfuit dans un aboi rauque. Le bivouac est posé dans une minuscule crique, à l’orée de la forêt. Le chant des grives musiciennes marque la fin de la nuit. Je mets sous pression le réchaud essence puis l’allume pour le thé noir du matin. Avec quelques céréales et fruits secs, le petit déjeuner est à l’image de nos journées ; simple. Simple et heureux ou heureux parce que simple … Le spectacle de la nature, le plaisir de l’activité physique, le réconfort des bivouacs et des repas, le plaisir du partage.
Jour seize. Nous avons atterri la veille précipitamment sous les pins. Cueillis par un orage imprévu. Eclairs, vent, mer hachée et pluie torrentielle nous ont conduit à monter la tente ici. Nous nous levons dans une quiétude retrouvée. L’odeur caractéristique des lichens humides envahit l’atmosphère. Le paysage est ici beaucoup plus forestier, la taïga trempe les pieds dans la Baltique. Nos gestes sont à présent bien rodés, la levée du camp se fait rapidement mais sans précipitation. Nous naviguons aujourd’hui dans des eaux bien peu profondes. Le granit rose apparait en transparence et nos kayaks glissent dans d’incroyables vasques. Nous nous amusons à suivre la côte au plus proches de l’échouage, petit plaisir de tester les limites de notre maîtrise technique.
Derniers coups de pagaies
Côte Est de Fasta Åland, jour 19, nouveau régime de vents prévu pour les jours à venir … Nous savourons donc chacun des derniers coups de pagaie de ce voyage, les températures estivales, l’odeur des pins sylvestres, le bleu du ciel et le rose de la roche des petites falaises, … Quelques huîtriers pies, confiant dans la côte rocheuse qui ne se prête guère ici à débarquer, se laissent approcher à quelques mètres. Leur poussin, boule de duvet posée sur de grandes échasses malhabiles, nous regarde, interrogatif. Le porte-carte translucide posé sur le pont est catégorique, le camping de Vardö n’est plus qu’à quelques encablures. Mais à présent dissimulée par les roselières qui profitent de la faible salinité de la Baltique et de la chaleur estivale pour pousser, notre destination finale ne se révèle qu’au dernier moment.
Les kayaks reposent à présent sur l’herbe au-dessus de la plage. Autour, s’étale tout l’équipement qu’il faut rincer à l’eau douce et faire sécher au vent. Installés à savourer notre premier café depuis bientôt trois semaines, nous regardons avec fierté ce matériel que nous avions choisi avec justesse et dont aucune composante n’a été inutile. C’est aussi avec satisfaction que nous repensons à ce voyage, cette première aventure en kayak en autonomie qui nous a offert des moments si intenses. L’intensité des spectacles de la nature, celle des prises de décisions urgentes quand la météo change soudainement. Mais aussi le plaisir d’apprendre à adapter notre programme, celui de mêler randonnée pédestre et en kayak de mer, celui de composer – à deux – une équipe prête à découvrir dès l’an prochain la façade orientale de l’archipel, celle que l’on nomme Turku. (A suivre)
Informations pratiques
Les îles d’Åland – prononcez Oland – sont situées en territoire finlandais mais bénéficient d’un statut particulier. Les habitants, qui sont en même temps Ålandais – c’est-à-dire de culture suédoise – et citoyens finlandais sont particulièrement fiers de leur identité. Vous verrez partout flotter le drapeau propre à ces îles. Les îles sont entièrement protégées par le Parc National Saaristomeren kansallispuisto. Certains secteurs sont strictement interdits d’accès (navigation, bivouac) pour préserver la biodiversité.
Formalités
Pays membre de la communauté européenne et même de la zone euro, une simple carte d’identité vous permet de vous y rendre si vous êtes ressortissant de l’UE.
Accès
Le seul point d’accès, que ce soit par voie aérienne ou maritime, est la capitale d’Åland, Mariehamn. On l’atteint via Stockholm en général mais certains ferries desservent l’archipel au départ de l’Allemagne.
Sécurité-santé
Les dangers sont faibles sur ces territoires. Soyez néanmoins vigilants aux risques de meningo-encéphalite, maladie à l’issue tragique véhiculée par les tiques, sales bêtes ici abondantes. Un vaccin existe et les populations locales bénéficient de campagnes de traitement, parlez-en à votre médecin.
Sachez également que la vipère péliade est très présente sur les îles. Il n’y a pas de danger particulier, l’animal étant très craintif mais sa présence justifie d’être vigilant dans les herbes hautes et sur les rochers quand les températures sont douces et que les reptiles s’y réchauffent.
Côté sécurité enfin, le kayak de mer est une activité de pleine nature qui ne doit être pratiquée, sans guide, qu’en pleine conscience de ses propres capacités physiques et techniques et avec une solide expérience de la mer. La mer baltique, sans marées ni courants se prête parfaitement à une première
Avec qui partir, préparer son voyage
Ce circuit a été réalisé avec Tamera dont on ne peut que conseiller le sérieux. Le Sahara est le cœur de métier historique de l’agence qui s’appuie sur des partenaires de longue date, à la fiabilité irréprochable.
A lire
Les ouvrages suivants seront d’une excellente lecture en préparation de votre séjour :
- Les îles d’Aland, Louis Léouzon Leduc, 1854, (épuisé), à lire gratuitement en bibliothèque ou en ligne. Toutvle charme du récit de voyage du XIX°s.
- Les Iles Aland en mer Baltique : Héritage et actualité d’un régime original, Matthieu Chillaud, Ed. LcHarmatan, décembre 2009. Un ouvrage sérieux mais passionnant pour mieux comprendre l’identité des habitants de cette moitié de l’archipel.
- Le kayak de mer, de Bernard Moulin, Ed. Le Canotier, mai 2014. La référence en français, pour tout apprendre sur le kayak de mer.
Reportages d’itinérances à pied, à la pagaie et à ski-pulka