Le Pacific Crest Trail ne serait sans doute pas ce qu’il est sans la Sierra Nevada, la section la plus grandiose de ce sentier de longue randonnée. Episode 4 du PCT, après Washington la brumeuse, l’Oregon la volcanique, la Californie du Nord et son Mont Shasta, voici la Sierra Nevada et ses nombreux cols. Dans cette partie du PCT, le sentier n’est pas forcément plus technique si vous y passez durant l’été. Il est bon par contre si vous souhaitez vous y engager en juin, veillez à l’enneigement via le NOHRSC interactive snow map ainsi que d’autres sites d’informations. Des compétences en alpinisme sont indispensables.
Je vous recommande aussi la lecture de mon article Pacific Crest Trail : le Guide pour tout savoir avant de démarrer son trek.
Mais revenons à notre aventure, toute dénuée de neige en ce mois de septembre.
South Lake Tahoe à Sonora Pass
Après une superbe nuit de repos bien méritée à South Lake Tahoe, nous reprenons la route joyeusement. Sam, Josh et Mr PB prennent de l’avance alors que Machine et moi faisons un détour par la poste. Une gentille dame nous prend en stop et nous dépose, ainsi qu’un autre randonneur sur le bord du sentier. Nous la remercions chaleureusement et nous mettons en route.
Mais contre toute attente, la tempête de la veille n’a pas dit son dernier mot. Après une bonne heure de marche, le temps se gâte, les températures chutent, le vent forci et s’agrémente de pluie. Petit à petit, nos corps faiblissent. Assez rapidement, je ressens des fourmillements et des engourdissements dans tout mon corps. L’hypothermie nous enlace.
Machine et moi prenons refuge dans un toilette public et réfléchissons à nos options. L’autre randonneur de la voiture nous donne le numéro de notre chère co-voitureuse qui accepte de venir nous chercher et de nous accueillir pour la nuit, histoire qu’on ne finisse pas congelés. Retour au Lake Tahoe pour une nuit chaude et douillette.
Le lendemain matin, nous reprenons la route, dans l’espoir que nos compagnons n’aient passé une nuit pas trop agitée. Nous les retrouvons, épuisés par le froid et malheureux de leur nuité. Ceci annonçait un peu la couleur de ces trois prochaines semaines à travers la Sierra Nevada.
La famille de Sam nous attend à Sonora Pass/North Kennedy Meadow pour nous accueillir quelques jours chez eux. Nous y récupérons notre équipement d’hiver : polaire, doudoune, sac à viande en polaire, boîte à ours,… Nous montons en altitude et cela commence à véritablement se sentir. Le souffle se fait court, très court. À chaque montée, j’envisage d’abandonner. À chaque descente j’oublie et je jubile. Qu’est-ce que c’est beau !
Nous dépassons les 1700 miles. 2735 km déjà parcourus. Les chiffres me donnent toujours le vertige.
Sonora Pass à Mammoth Lake
Ces deux petits jours en compagnie de la famille de Sam ont été riches, en nourriture d’abord, en sommeil et en discussions ensuite. J’ai encore perdu du poids et me suis vraiment posé la question de continuer, de se lancer dans l’une des sections les plus demandeuses d’énergie. Des appels aux amis me rassurent, alors il est décidé que je continuerai. Nos hôtes nous redéposent à Sonora Pass, nous leur faisons des au revoir chaleureux et nous voilà repartis. Après une journée de marche sans trop de difficulté, nous arrivons à Tuolumne Meadow. Cette vallée est un repère à grimpeurs, en effet, c’est une porte d’entrée pour le Parc National du Yosemite. Nous sommes tout proche, mais la météo des prochains jours nous invite à ne pas faire de détours et à continuer notre chemin sur le PCT. Nous sommes déjà en septembre et bientôt la neige viendra recouvrir tous les sommets.
Nous nous arrêtons pour la nuit dans un petit magasin à l’intérieur du Parc de Yosemite. La nuit est douce, c’est la nouvelle lune et les étoiles n’en sont que plus brillantes. Les petits-déjeuners servis dans les restaurants ont des portions pour Polly Pocket, pas assez pour contenter la randonneuse affamée que je suis. Mais les litres de cafés filtres me comblent de bonheur. Nous sommes en route pour le premier vrai col Donohue Pass (3370 m). Les garçons piquent une tête dans la rivière glaciale et nous reprenons notre route, à la fois euphoriques, heureux et apaisés. Aujourd’hui, tout semble facile et nous volons sur le sentier. Est-ce l’ivresse des hauteurs ?
La nuit sera courte, mais nous filons vers Mammoth Lake en cette belle journée. Un petit coup d’auto-stop et vous voilà en ville, à se gaver de toute nourriture disponible. Nous faisons notre lessive, visitons la ville et cherchons un parc où passer la nuit. Un couple croise notre chemin et après quelques échanges, ils nous offrent une nuit dans un motel de la ville. Nous les remercions chaleureusement, toujours surpris de la générosité des gens envers les randonneurs que nous sommes… Nous profitons alors de cette nuit confortable et du petit-déjeuner compris le lendemain matin. Il semblerait d’ailleurs qu’un autocar de Français ait fait le déplacement jusqu’ici. Je n’ai pas entendu parler français depuis des semaines et je suis quelque peu perturbée par cette intrusion dans mes vacances à l’étranger !
Mammoth Lake à Kearsage Pass
De Mammoth Lake à Red Meadows, il nous faudra 4 auto-stop différents pour reprendre le sentier, sans Machine qui doit régler quelques trucs en ville. On se retrouve de nouveau à 3, Sam, Josh et moi-même. Notre trio regagne les montagnes et les températures s’abaissent. Les nuits passent sous la barre du zéro. Nous ne sommes pas équipés pour si froid, mais nous nous y attendions et apprenons à nous tenir chaud en se serrant dans les tentes.
Les premières heures de marche nous s’accompagnent des premiers flocons de neige. De simples petits flocons se transforment en neige épaisse puis en grêle. Le froid nous tend, mais nous prenons la roue de Josh qui nous entraîne d’un pas décidé en haut du premier col. Les éclaircies arrivent doucement, juste le temps de passer Silver Pass (3620 m) où règne un vent à décorner des bœufs. Y’a pas à dire, la météo est exécrable, mais les paysages sont à couper le souffle, sans arrêts. C’est si beau de toute part que je suis submergée, ne sachant plus de quel côté planter mon regard. C’est presque frustrant.
La journée est longue, nous avons décidé de passer 2 cols aujourd’hui. Sur le papier, ça semble correct hormis le dénivelé positif qui frôle les 3000 m. Selden Pass (3313 m) est le prochain col. C’est à mon tour de mener la troupe en haut. On se fait fouetter par le vent. L’altitude nous demande un effort supplémentaire que je n’avais pas anticipé, entraînant une faim incontrôlée. Nous courons dans la descente pour se mettre au plus vite sous l’abri que nous offrent les arbres. Mon corps réclame son dû à renfort de spasmes et tremblements incontrôlés. Donnez à manger à ce corps !!
Il y a des sons que j’aime tout particulièrement quand je m’endors : celui de l’eau qui coule, celui de la pluie fine sur mon tarp, et celle de la neige… Il a neigé une bonne partie de la nuit dans la Sierra Nevada, les sons étouffés par la neige sont vraiment plaisant. Celui qui l’est moins, c’est le ronflement de Josh et ses mouvements sur son matelas gonflable ! J’ai cru toute la nuit à un ours marchant dans la neige craquante !
Mais nous sommes bien les premiers à poser nos pieds dans cette neige fraîche et éblouissante. Ce manteau blanc disparaît à mesure que la journée passe. Nous avançons plutôt bien, nous semblons bien nous acclimater à l’altitude. Le sentier se fait de plus en plus aride, les paysages toujours plus spectaculaires. Y a-t-il une limite à la beauté suréelle de ces montagnes ? Je peine à cadrer mes images, tout est vertigineux et grandiose.
À mesure que nous avançons, nous apercevons un refuge au milieu d’un col. C’est la cabane du Muir Pass (3644 m). Une cabane construite en l’honneur de celui qui deviendra le créateur du Parc National du Yosemite : John Muir. C’est une cabane en pierre iconique du sentier, elle est magnifiquement construite et nous profitons de sa présence pour nous abriter du vent quelques longues minutes avant de reprendre la route dans un dédale de rochers. Le sentier disparaît sous un paysage minéral où la violence des éléments vous rappelle à notre petitesse.
La nuit qui suivra restera ancrée dans nos mémoires. Les températures chutent. Il fait -15°C.
Le réveil est silencieux, chacun à notre tour, nous nous mettons en route dans un état de léthargie important. La Sierra Nevada aura-t-elle notre peau ? Aujourd’hui, nous n’avons qu’un col au programme : Mather Pass (3678 m). C’est celui que je redoute le plus. Nous en avons beaucoup entendu parler par les randonneurs Nobo, ceux qui ont commencé dans le Sud. La montée est incessante, mais la tête baissée, nous avançons un pied après l’autre dans une danse cadencée, interrompue uniquement par les regards vers d’où l’on vient. Le spectacle est toujours aussi grandiose. Mather Pass se déroule et nous fait entrer dans un paysage digne du Mordor. La descente sera simple, rapide, couru. Il est à peine 17h lorsque nous montons le camp, épuisés, mais heureux. Si heureux.
Chaque nuit est un combat contre le froid glacial. Nous avons beau dormir coller les uns aux autres, nous subissons les éléments et attendons les premiers rayons de soleil journalier comme un enfant attend ses cadeaux de Noël. Nous avons deux cols à encore passer aujourd’hui, Pinchot (3685 m) et Glen Pass (3635 m). Si le premier nous met en jambe, le second aura raison de moi. Les derniers miles de l’ascension sont particulièrement raides. Je peux voir Sam dans les zig-zag au dessus de moi. J’ai l’impression que nous avançons à la verticale. Je dois m’arrêter à chaque virage pour m’assoir, reprendre mon souffle et ne pas tomber dans les pommes. Les garçons disparaissent de ma vue et ce col me semble absolument interminable. Jusqu’à son sommet qui se prolonge d’une jolie arrête. Les vues qui nous sont offertes valent tous les efforts du monde.
Je retrouve ma troupe, un regard suffit pour partager ce dernier col qui nous a littéralement drainé. Nous collons nos tentes pour affronter cette prochaine nuit, dans l’espoir de quelques heures de repos salvateur. Demain, nous allons nous ravitailler, mais avons une dizaine de kilomètres à effectuer. Nous devons rationner notre repas du soir, mais c’est trop difficile, nous sommes affamés. Demain, il faudra faire le trajet avec seulement de petits sachets de beurre de cacahuètes…
Il y les informations que l’on vous donne et la réalité. Kearsage Pass (3575m) est l’un des cols principaux d’entrée/sortie de la Sierra Nevada. Le sentier y est sans difficulté. Mais c’est sans compter sur le manque de sommeil, le froid, la faim. C’est interminable, sortez-moi de là !
J’y arrive tant bien que mal. Au parking du départ de randonnée, Sam arrive au volant d’une voiture. Je suis estomaquée, a-t-il volé une voiture ?? Il m’explique qu’un randonneur lui a laissé les clés de sa voiture pour qu’il la ramène en ville pendant que lui pars plusieurs jours. J’hallucine. Ce randonneur confiant a également laissé des cookies pour nous remercier. Nous voilà donc en route vers Bishop, à une heure de route, au volant d’une voiture prêtée et avec de quoi le nourrir le temps du trajet. Est-ce que j’oublie instantanément les deux derniers jours compliqués ? Tout à fait !
Kearsage Pass à Kennedy Meadows South
Après une nuit au chaud, nous reprenons la route, mais d’abord un café, puis un autre, puis des cookies par-ci par là… l’heure tourne et on commence à revoir notre plan. Nous voulions passer Forester Pass aujourd’hui, mais on va plutôt dormir à son pied. Une sage décision qui nous permet de nous détendre et de se laisser surprendre par le sentier.
Un monsieur nous propose de nous ramener au sentier pour 30 dollars. Banco ! Nous refaisons la route d’hier, impressionnante, imaginez-vous dans le désert plat, quant à votre droite la plus haute chaîne de montagne des États-Unis continue s’érige à 4400 m d’altitude. C’est une sensation d’ivresse indescriptible…
Nous repassons Kearsage Pass où nous rencontrons des amis, Jake et Jane. Jake vient de demander Jane en mariage alors c’est l’occasion de célébrer (nous avions visiblement de l’alcool) à 3000 m d’altitude sur un col en plein vent ! Nous redescendons, ivres de joie. Les quelques kilomètres qui nous séparent du campement se déroulent joyeusement, entre blagues, fous rires, arrêts spontanés dans le moindre patch de soleil. Nous rencontrons une nouvelle venue, les garçons s’empressent de faire un feu et de l’alimenter, de faire leurs meilleures blagues, le concours de drague est lancé et le spectacle est fabuleux.
Le lendemain, nous nous mettons en route vers le col mythique de Forester (4009 m). C’est le col le plus haut du Pacific Crest Trail, et la porte d’entrée par le Sud de la Sierra. Il fait froid, mais ce col est facile et ne représente plus qu’une formalité après la forme retrouvée ces derniers jours. Nous célébrons une fois de plus un nouveau col franchi.
On le sait, on le sent, la Sierra Nevada touche à sa fin pour nous. Nous sommes début octobre et les hostilités de la Sierra vont vraiment commencer. Nous devons partir, mais nos sentiments sont ambivalents. Tout est sublime, mais tout est si difficile. On voudrait que ça continue pour toujours mais que tout s’arrête au plus vite également.
Demain, nous irons voir le plus haut sommet des États-Unis continus : le Mont Whitney qui culmine à 4421 m d’altitude, puis nous entamerons notre descente vers le désert.
La tendance veut de se lever très tôt pour atteindre le sommet de Whitney pour le lever de soleil. Nous avons décidé d’aller à contre-courant et Whitney ne nous verra pas avant qu’il fasse jour !
Whitney est un monstre de sommet, mais son ascension est relativement facile, il n’y a rien de technique hormis l’altitude et l’évitement des touristes en masse. C’est une très belle balade que nous entreprenons. Les garçons filent devant tandis que je gère mon rythme. Le sommet n’est pas seul, il est imbriqué dans une chaîne, il est donc quasi impossible de le distinguer. Nous longeons ce long flanc ; des arrêtes rocheuses nous permettent de voir de l’autre côté. On y voit le désert en contrebas. N’est-ce pas incroyable ce contraste ? L’altitude me prend aux tripes, j’ai envie de vomir et des vertiges apparaissent. Je ralentis mais continue ma marche pour rejoindre la troupe. Nous passons un gros névé sans dangers et nous y voilà, au sommet.
Un sommet plat permettant à nous, touristes, de s’étaler, de déambuler, de s’ébahir de tout ce spectacle. Il y fait froid et nous décidons de ne pas trop traîner non plus. En route vers la suite !
Il nous faudra ensuite deux jours pour sortir de la Sierra Nevada et rejoindre Kennedy Meadow South. Deux jours qui marquent une frontière importante. Nous quittons le minéral et les immensités de roches pour rejoindre rapidement les plaines arides, chaudes et au relief plus tendre.
Je ne sais que penser, je suis à la fois heureuse de quitter ces montagnes qui me faisaient peur autant qu’elles m’ont fascinée. Je suis heureuse de retrouver des températures qui me permettent un fonctionnement normal, mais triste de quitter cet écrin de magnificence et de calme. La Sierra ne me laissera pas intacte, ni mes coéquipiers. Nous regardons vers le sud et continuons d’avancer, coûte que coûte, dans notre aventure folle. Qu’à le désert à nous proposer ?
Les odeurs de sauge blanche nous sautent au nez, celles du maquis aussi. Wawww, nous avons affaire ici à de nouvelles sensations et je crois bien que cela me plaît.
Nous faisons un détour par le magasin du coin puis par le restaurant/bar pas très loin. La douche est bienheureuse, la nourriture grasse et copieuse nous remplie de joie. Ici les randonneurs sont accueillis chaleureusement. Nous retrouvons d’anciens compagnons de sentier, des nouveaux également. Cette traversée de la Sierra Nevada se transforme en une fête joyeuse qui se termine à 21h30, comme toujours, abattu par la fatigue. Demain, nous entamerons la dernière étape de notre périple, nos derniers 700 miles / 1100 km.
Sac léger sur le dos, appareil photo et pellicules en bandoulière, j’ai déjà parcouru l’Appalachian Trail et le Pacific Crest Trail. J’aspire à d’autres longs sentiers, mais aussi à partager ces expériences auprès d’un plus large public.