Super-Besse -> Station du Mont-Dore – 5 km

L'Auvergne est comme une femme : à peine est-on dans ses bras chaleureux et verdoyants, ou au creux de ses formes arrondies, qu'on refuse de les quitter...

Focus Rando :Super-Besse -> Station du Mont-Dore – 5 km

Une fois n’était pas coutume, la morosité demeura le maître-mot de cette nouvelle journée. En balançant un œil derrière les rideaux, je découvris les chaussées encore mouillées. Pour mieux prendre en photo les pistes et le lac, je dus recourir à l’artifice de filtres dégradés et créatifs. Un bleu par là, du jaune par ici, et l’illusion fut parfaite !

Par-delà les fenêtres du restaurant, le ciel allait en s’éclaircissant, en dépit d’un monceau de brume flottant au-dessus des crêtes verdoyantes. Je songeais alors à ma dynamique de marche en fonction du temps à parcourir et de la lourdeur de mes jambes.

Avec une heure d’avance sur l’horaire de la veille, je m’éloignais définitivement de « Sabrina » par une route qui contournait l’hôtel par derrière, le dos chargé et l’appareil photo autour du cou. A la sortie de Super-Besse, un kilomètre et demi en amont, je grimpais sur le sentier du Chambourguet, longeant le Puy du même nom. Déjà, le ciel derrière moi disparaissait au mépris d’une bruine trop orgueilleuse pour en rester ainsi. Je la regardais gravir les kilomètres plus rapidement que moi. La chaleur demeurait étouffante pour un début de matinée, ce qui me réconfortait dans l’idée d’un beau dégagement de ces nuées ténébreuses.

Je cheminais sur une piste de fond qui joignait, dans une montée toujours grandissante, la Plaine des Moutons. Après cet objectif, je devrais improviser. Maintenant, aucune des percées du soleil ne parvenait à dégager définitivement la masse vaporeuse. L’ennemi progressait en terrain conquis, sans se laisser abuser par d’éternelles attaques du front. Une nouvelle calamité allait s’abattre sur mes aventures. Ainsi, en venant à hauteur d’une ferme, je découvris soudain la fausseté de mes prévisions : un dense brouillard masquait lentement mon parcours et, derrière, effaçait à mon insu mes traces. Que faire dans ces moments-là ? La brume gagnait encore du terrain. Pourtant, je persistais à poursuivre avec l’espoir d’une amélioration. Très vite, je fus encerclé par cet épais manteau nuageux, moite et glacial. Je m’enveloppai d’un vêtement chaud, protégeai mon sac des gouttelettes d’eau par une housse et repris ma pénible marche. Je perçus plus haut un amas de pierres émanant du néant visqueux et résolus à attendre ici. Un panneau indiquait le « Chemin des Rondes », au numéro 31. Accomplissant un tour rapide de la situation, je constatai alors le manque de visibilité des alentours. Le brouillard me prenait en otage, enfermé dans son humidité déplaisante et grasse. Impossible dorénavant de nier l’évidence : jamais il n’y aurait d’adoucissement. Suivi de cet autre constat terrible : le chemin semblait si impraticable que seul un retour en arrière était conseillé. Un nouvel obstacle me saisit : impossibilité, après analyse et réflexion, de revenir sur mes pas compte tenu de la faible luminosité. Les températures chutaient considérablement, n’avoisinant que les treize degrés. L’hiver était-il donc proche ?

Un bruit suspect attira mon attention : une forme inhumaine, monstrueuse, surgissait de nulle part, depuis la montagne, et descendait en poussant des cris stridents. C’était un tracteur, reconnaissable après avoir cligné des yeux plusieurs fois. Il se dirigeait prudemment vers la ferme située une centaine de mètres en contrebas. Le quart-d’heure suivant, ce fut trois VTT à prendre la même route cabossée et tortueuse. Les cyclistes firent halte non loin de mes pierres, sans m’apercevoir, et semblèrent se consulter pour se repérer dans ce dédale brumeux. Puis, après concertation entre eux, ils pédalèrent à nouveau jusqu’à la vallée.

Je m’encourageai à contacter mon hôtel de Super-Besse pour qu’ils alertèrent les secours ; il était 10h45. En ces instants-là, la tendance est d’imaginer vite des bruits. Tout peut nous faire sursauter, un simple sifflement fait craindre l’arrivée de projectiles « aveugles ». Le paysage évoquait ainsi l’Ecosse ensevelie sous une brume persistante, tandis que les blocs de pierre prirent rapidement l’apparence de ruines d’où pouvaient surgir à tout moment des êtres immondes et livides. Je compris mieux l’expression « le ciel va nous tomber sur la tête ».

Vingt minutes passant, un appel téléphonique de la gendarmerie m’assurait qu’une équipe d’intervention était sur le départ pour me récupérer. Mon interlocuteur me conseilla de boire et de manger des fruits, de même je lui signalai la borne près de laquelle je m’étais arrêté. Dans cette attente, je me demandai si je n’allais pas y rester définitivement ; il était idiot de penser cela. En pareille circonstance, souvent, les minutes s’apparentaient à des heures ! Je pestais, bien entendu, contre ce nouveau fléau qui m’avait poignardé en plein cœur.

Le gendarme au téléphone me contacta une seconde fois, pour me réconforter, constater mon état et certifier la venue de ses collègues dans les dix prochaines minutes. Pour me prémunir de mes propres angoisses et apaiser mon impatience, je buvais, croquais une pomme, buvais à nouveau et marchais beaucoup. Ici, tel un beau destrier galopant sur les hautes collines et sortant de l’ombre, un véhicule 4×4 fit irruption dans mon espace restreint et solitaire. Il descendit le chemin par lequel j’escomptais, à l’origine, emprunter. J’effectuai de grands signes pour me faire repérer, selon les recommandations du gendarme ; puis, comme la cavalerie venait de s’interrompre à ma hauteur, j’enfourchai mon gros sac à dos, ainsi que mon sac photo et je me précipitai vers mes sauveteurs. Une jeune femme et le conducteur constituaient cette équipe. J’embarquai avec eux, sur le banc arrière. Je leur précisai ma destination, le Mont-Dore. Par bonheur, justement, c’était depuis la station du même nom qu’ils venaient : Super-Besse ne possédait aucun poste de secours. Ils accomplirent un demi-tour et garantirent de me ramener jusqu’à mon hôtel. Le chauffeur – le chef visiblement – m’appris que la bruine avait atteint les deux versants du massif du Sancy et que la visibilité restait difficile à partir de cinquante mètres. Sa partenaire me questionna sur mon identité, mes coordonnées et mon âge.

Le retour fut des plus chaotiques. L’humidité permanente rendait les chemins et les verdures totalement glissants et boueux. Sortir par un temps pareil pour braver le danger devenait imprudent ; toutefois, à maintes reprises, nous croisâmes des randonneurs qui, seuls ou en groupe, s’aventuraient « à l’aveugle » dans cette confusion fumeuse, dissimulant ainsi des précipices d’une hauteur d’une dizaine de mètres. Le chef de la patrouille s’échinait à les dissuader de poursuivre ; au mieux, il leur désignait le prochain refuge, la prochaine télécabine pour s’abriter ou rentrer chez eux. Nous dépassâmes des groupes vêtus d’une façon légère, sans aucune tenue de pluie ou chaude ! De jeunes enfants, de surcroît, les accompagnaient ! L’inconscience de certains adultes m’effrayaient parfois…

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Au bout d’une demi-heure, je reconnus, non distinctement cependant, des formes vallonnées déjà traversées la veille : nous étions proche du Puy du Sancy, à deux kilomètres de la station du Mont-Dore. Il suffisait de descendre le chemin du Sancy, qui avait assisté à mon ascension, et l’autre extrémité du tunnel touchait enfin à sa conclusion. Le conducteur serpentait à vitesse réduite jusqu’au fond de la vallée ; par moments il ralentissait à la vue de nouveaux randonneurs insouciants du danger. D’une voix forte, il leur décourageait et leur sommait de redescendre. En fin de parcours, la vue de mon hôtel « Au Puy Ferrand » m’enthousiasma. Je sautai pied à terre face à l’entrée et me fondit en remerciements auprès de mes sauveteurs.

A la réception de l’hôtel, la femme fut surprise de me voir de si bonne heure. Elle m’enregistra dans sa base de donnée et me remit la clé 41. Ma nouvelle chambre comprenait deux lits séparés, devant un canapé-lit : pour moi seul, cette pièce paraissait éternellement trop vaste. Les minces fenêtres sans balcon étaient orientées vers le massif du Sancy. Hélas, à cette heure, le panorama que je découvrais si ensoleillé et si vivant une journée auparavant, représentait dès lors une désolation qui semblait ne connaître aucune issue. Etait-il probable que tout le massif se fut brusquement transformé en une ombre géante et visqueuse ? Une masse nuageuse dévorait la station entière, après avoir englouti les crêtes et les pics ; elle ne restait plus qu’à grignoter les routes départementales et les ruisseaux pour parachever son œuvre de destruction.

Bien vite, je songeais aux prévisions météorologiques : le temps deviendrait clément dès le lendemain, tandis que la canicule tant annoncée devrait être attendue dans les deux prochains jours. Je respirai de soulagement, sans comprendre pourquoi cela n’arrivait pas plus tôt. Après un éparpillement de mes affaires sur les lits, je descendis jusqu’au petit salon, proche de la réception, afin de déjeuner. Au fur et à mesure que je me restaurais, j’assistais à une levée du bouclier de l’ennemi : l’horizon s’élargissait. Une première bataille, engagée à l’aide d’un vent allié, avait été remportée. Quant à la guerre, elle se poursuivait dans les méandres du ciel et, certainement, bien au-delà de toute vision humaine. Une curieuse impression se dégageait de cette atmosphère d’épouvante : il semblait que des mains, prenant le contour ombrageux, sortaient des ténèbres pour nous agripper et nous attirer vers elles. Ou pour nous imprégner de leurs empreintes fumantes. Des visages naissaient ainsi ; des visages sans bouche, aux traits sévères et inflexibles.

Je profitai de ces moments de détente forcée pour revenir à ma chambre et capturer des photos. Ce temps instable m’inspira drôlement. Au cours de cette longue séance photographique, je découvrais des brèches de rayons de soleil. Même si des monceaux de brume demeuraient en alerte, des éclaircissements s’opéraient dès 1300 mètres d’altitude. Je saisis bientôt une courte revanche, lors de ces manifestations du soleil, et sortis effectuer une randonnée jusqu’au Puy de Sancy. Je ressentais vivement la nécessité de me dégourdir les jambes.

Du monde peuplait la station, les téléphériques montaient et descendaient à un rythme soutenu. La vie reprenait son cours normal. Des cars de touristes affluaient sur les places de stationnement. Par contre, c’était des parkas ou des habits mi-chauds qui couvraient, des pieds à la tête, les gens que je croisais. Une fraîcheur grandissante animait les alentours. Un sentier au cœur des montagnes gravissait en lacet jusqu’au Puy de Redon, non loin du Sancy, à l’écart des pentes aménagées. L’entrée passait par le contour d’un buron et de deux autres bâtiments montagnards, dont un monument dressé en hommage à trois résistants assassinés. La prairie qui ouvrait ce chemin du Val de Courre, abritait un troupeau de bovins de race salers broutant l’herbe. Elles s’avéraient inoffensives, curieuses ; toutefois elles demeuraient imposantes de par leur stature et leur façon de nous dévisager. Je déambulai entre ces gros monstres à la fourrure pourpre, je les mitraillai de mon appareil photo avec l’espérance d’en tirer des clichés étonnants et drôles. Rassasié de ces images écarlates à la teinte dominante verte, je partis à l’escalade du Puy de Redon, à travers une floraison de gentianes. Cela consistait, à vrai dire, à suivre l’amont d’un ruisseau. De nombreux randonneurs, suffisamment équipés à l’inverse de la matinée, cherchaient à atteindre le même objectif. La seule crainte à ressentir était de se faire surprendre par une nouvelle brume inquiétante et de ne pouvoir admirer le paysage. N’importe ! je devais poursuivre ma promenade, quitte à la prolonger jusqu’au Sancy, lieu de mon véritable dessein.

Dépassant le Verrou, rocher d’escalade, je découvris une vallée émeraude que les monceaux nuageux ne parvenaient pas à obscurcir. Au fur et à mesure de ma progression jusqu’au Col, j’étudiais les deux rangées de montagne que mon parcours perçait largement. D’un côté, le versant présentait un caractère caillouteux, fort étonnant de par sa décomposition et son alignement si précis ; et de l’autre, le versant faisant face au précédent, enfermait une série de pliures parfaitement agencées, éclipsant des pentes ravinées. Cette troublante diversité et cette ordonnance tant maîtrisée, façonnées par la formation des glaciers, me stupéfiaient. Le relief désormais se modelait en une succession d’éclaircies et d’ombres.

Bien après de longues sinuosités, des chapeaux de pierre se dressaient sur des semblants de collines tels des vestiges prêts à s’effondrer. Maintenant, le sentier, succédant à la terre, se prolongeait en une spirale de galets. Je gravis malaisément les derniers lacets d’un couloir étroit, jusqu’à environ 1700 mètres d’altitude ; puis, en me retournant, j’observai attentivement, une fois encore, les hauteurs. La même vapeur épaisse stagnait sur les cimes environnantes. La vision était si lugubre, si irréelle que cela m’évoquait une nouvelle main transparente et cependant ferme, semblable à celle d’un géant, qui s’allongeant désirait ardemment s’emparer des âmes humaines ici-bas. A son effigie, une langue râpeuse, chargée d’une horde nébuleuse, se déroulait au loin sur les pâturages. Il était possible de croire que le ciel allait s’écraser sur la plaine. Toutes les pliures célestes me donnaient le vertige et m’émerveillaient à la fois.

Une famille me dépassa et grimpa jusqu’aux confins de la brume, point central entre le monde des vivants et un autre monde inconnu. Ce groupe de trois personnes s’enfoncèrent dans l’au-delà, jusqu’à disparaître ; je pris une dernière photo de leur existence, en souvenir. L’impossibilité de poursuivre me contraignit au repli. En effectuant le chemin inverse vers le fond du val de Courre, l’après-midi touchait à sa fin.

De retour à l’hôtel, je me plongeai dans la piscine intérieure chauffée, au sous-sol. Elle n’était pas comparable à celle du « Charlet », à la Bourboule. Toutefois, elle semblait davantage spacieuse et profonde. Au dîner du soir, fin reposé, je retrouvai la même salle fréquentée deux jours auparavant. Je m’attablai au même emplacement, proche de la cheminée, éteinte cette fois.

Je me sentis si dégoûté par le peu de découvertes effectuées ce jour, que je montai direct me coucher. Je n’éprouvais guère de volonté de me préparer pour le lendemain. Le sommeil m’accaparait bien vite.

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