Ardane – Cabane de Pédain

Ardane - Cabane de Pédain - Traversée des Pyrénées par le HRP

Focus Rando :Ardane – Cabane de Pédain

Ardane – Cabane de Pédain

+1700m/-1470m

Des journées comme celle-ci, je n’en n’ai pas vécu 10 dans ma vie: tout y est. Diversité des situations, imprévus, sites magiques, grandes sensations, suspense, inconnu.
L’aventure, quoi!
Plutôt que de passer par la Pierre St Martin, nous voulions éviter le goudron et passer par le col d’Anaye puis la Table des Trois Rois et redescendre sur les cabanes de Pédain. Une erreur d’itinéraire après le refuge de Belagua nous a bien fait galérer, la suite est à découvrir.

Inoubliable

Cabane d’Ardane – Port d’Ourdayté

Réveil à 6h45, mince encore loupé… On part à 7h30 après avoir passé un coup de balai dans le refuge: il est plus propre que quand on est arrivés (même s’il l’était déjà!).
Direction le port de Belhay, le soleil est là et il fait déjà chaud. Côté français au loin il y a toujours cette couche de nuage qui rend la vue très belle.
De Belhay on suit la crête en hésitant un peu puis on descend vers le refuge de Belagua. Situé au bord de la route, il y a beaucoup de voitures.

Port d’Ourdayté – Refuge BelaguaIci la HRP prend le bitume jusqu’à la Pierre St Martin: au moins 2h de route sous le soleil espagnol. Nous avons décidé de tenter une autre possibilité: rester côté espagnol et essayer de rejoindre le col d’Anaye, puis la Table des Trois Rois pour redescendre sur les cabanes de Pédain. L’itinéraire jusqu’au col est indiqué en pointillé sur la carte alors on va vérifier dans le refuge que c’est faisable. On retrouve le même tracé sur les deux cartes du refuge, donc ça a l’air ok.
Quand à la partie col d’Anaye-Table des Trois Rois, deux messages sur le web m’ont dit que c’était surement possible, sans qu’ils l’aient fait. Et Table des Trois Rois-Cabanes de Pédain, pas d’infos…
Nos regards se tournent donc vers l’est, côté espagnol, pour tenter de distinguer la Table, mais c’est la première fois que nous venons ici et dans la brume de chaleur tout se confond au loin. Ce qui est sûr c’est que ça fait une trotte!

Refuge Belagua – Col d’Anaye

On hésite quel sentier choisir: du refuge on distingue nettement un chemin qui longe la route à 200m. Mais selon la carte on devrait passer un peu plus loin. Plutôt que de chercher un autre chemin, on décide de prendre celui qu’on voit: suffisament large pour un 4*4, bien marqué, il va en plus dans la bonne direction.
Il est 11h30, il fait chaud: on se gave d’eau au refuge, on prend 1L et on y va. Au début tout va bien, puis après 45 min de marche le chemin s’arrête net… Après avoir bien regardé si on n’a pas manqué une bifurcation, on part à gauche en suivant de vagues traces puis on se retrouve encore une fois en pleine forêt sans aucun sentier. Eh merde. On poursuit quand même quelques minutes mais devant l’extrème difficulté que nous avons à avancer on s’arrête.

"On continue?". Silence. On regarde autour de nous, cette fois c’est bien pire qu’au jour 4 à côté du col d’Orgambide. Le sous-bois est extrèmement dense, le terrain très accidenté et avant le col d’Anaye il y a au moins 6km.
Faire demi-tour? Ca veut dire retourner à Belagua à 1h de marche et y chercher un autre chemin qui n’existe peut-être plus: l’itinéraire est indiqué en pointillé sur la carte. Autre possibilité: bifurquer vers le nord pour tenter de rejoindre la Pierre St Martin mais ça ne nous dit vraiment rien.
"On continue" répond Nico. Je suis d’accord. On range les bâtons sur le sac en prévision d’une bonne grosse galère.
Notre but est maintenant d’atteindre le sommet d’une des nombreuses petites buttes qui sont autour de nous. Elles font 60 à 80m de haut et sont espacées de 200 à 300m, on espère y avoir un point de vue suffisamment dégagé pour pouvoir s’orienter… Alors on s’acharne, on progresse mais c’est épuisant. Pousser les branches basses, monter dessus, se glisser dessous à genoux quand c’est possible ou faire un detour de plusieurs mètres pour avancer d’un pas, voilà notre galère quand le sol est horizontal.
Quand il faut descendre ou monter, c’est souvent en escalade, mais sur de l’excellent rocher, un superbe calcaire très blanc. Je prends même du plaisir à faire quelques pas intéressants. Mais 5m de désescalade ça fait pas avancer plus de 50cm… C’est dur mais beau en même temps, très sauvage. A part la faune locale, pas grand monde est passé là apparemment!
J’ai une pensée pour les premiers Pyrénéistes qui ont eu à affronter ce type de terrain avec un autre matériel et tout l’inconnu de l’époque.
On arrive enfin au sommet d’une butte, rapide bilan de notre état: quelques éraflures mais pas de blessures et on est encore en forme.
Il y a beaucoup d’arbres, on voit pas grand chose mais une chose est sûre: le même type de terrain nous attend pour encore au moins 1km. A travers la végétation on distingue de nombreuses autres buttes, certaines un peu plus hautes (de 20m) que les autres.

Le doute commence à s’installer, on fait un nouveau bilan. Des galères, on en a déjà vécu tous les deux… Là ça va encore, mais on devine ce qui peut nous attendre. A cette vitesse (500m/h), ça peut nous prendre 10 ou 20 heures pour arriver au col. Donc si ça continue, on devra passer la nuit là -surement assis sur un caillou vu que c’est plat nulle part- et il faudra finir avec moins d’1L d’eau chacun.
C’est pas normal, mais je crois que j’aime bien ce genre de situation critique. Avoir à bien analyser ce qu’il se passe en prenant en compte tous les paramètres possibles et faire les bons choix, surtout pas de connerie. On apprend beaucoup: sur soi, techniquement et humainement quand on est plusieurs.
"On continue?". La réflexion est plus longue. Je me concentre sur la carte.

Zoom sur l’endroit où l’on a hésité à poursuivre

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D’où nous sommes, aucun sommet caractéristique alentour n’est visible. Etant côté espagnol les seules indications que nous avons sont les courbes de niveau qui ne me permettent pas de nous situer dans cette succession de petites buttes qui se ressemblent toutes. Je fais alors des suppositions. En faisant une estimation de notre progression depuis Balagua, un vallon caractéristique avec une haute colline allongée derrière devrait être repérable à un kilomètre ou deux.
On décide de continuer. Et c’est reparti. On force le passage parce qu’il faut pas trainer, quelques petites chutes, des branches dans la figure, des sauts, de la marche à quatre pattes et de l’escalade et nous voilà sur la butte suivante. C’est le même panorama qu’à la précédente et on n’a pas envie d’avoir à se poser les mêmes questions donc on ne s’arrête même pas et on enchaine la désescalade suivante.
On arrive enfin sur une hauteur où la vue est un peu plus dégagée: on ne voit pas le vallon, mais la colline au loin ressemble à celle indiquée par les courbes de niveau sur la carte.
Encore une descente et une montée dans la jungle et nous sommes fixés: tout essouflés et trempés de sueur on découvre le vallon. Super, maintenant on sait où on est.
L’itinéraire indiqué sur la carte remonte ce vallon. On ne sait pas s’il y a un sentier alors on scrute… "Oui! Je vois une trace: là où l’herbe est plus haute, regarde". Cool! On sait où on est et on a trouvé un sentier, espérons maintenant qu’il nous mène au col !

On a complètement oublié de prendre des photos de notre galère, erreur de débutant, je m’en veux alors on en prend quand même une du fameux vallon.
Une fois rejoint, il s’avère que le sentier est balisé. Mais on met un certain temps à s’en rendre compte: les marques sont ovales et d’un jaune tellement terne que l’on a pris les deux premières marques pour de la mousse. En effet, une mousse également jaune pousse ici un peu partout!
L’endroit est une pure merveille et le chemin très intelligemment fait. Nous sommes en fait dans un gigantesque lapiaz et le sentier -sinuant énormément- passe par toutes les faiblesses de ce labyrinthe. Inutile de dire qu’on fait très attention à ne pas le perdre!
Je me régale.
Un autre problème commence à se poser: la soif. Il nous reste environ 100ml chacun et on sait que tant qu’on est sur le lapiaz, il est très peu probable qu’on trouve de l’eau. Quelle journée! Je plaisante en disant: "on n’a plus qu’à se prendre un orage."
Après 2h de marche sur ce sentier on arrive enfin au col d’Anaye à 16h.

Col d’Anaye aux cabanes de Pédain

On devine que la Table des Trois c’est le sommet tabulaire près du pic à droite. Sur une grosse pierre au col on voit marqué en bleu Pic des Trois Rois et Lescun en rouge. Un vieux balisage rouge part vers la vallée…
Cela voudrait-il dire qu’un balisage bleu mène au Pic? Au début on suit quelques cairns puis on voit deux traces bleues presque complètement effacées, la troisième est introuvable. On continue donc à l’intuition parmis les crevasses du lapiaz. Elles sont nombreuses et on doit faire quelques passages d’escalade et un saut facile au dessus d’une immense crevasse.

A voir le terrain sur lequel on doit marcher, on est quasiment sûr que c’est le dernier jour de nos godasses… Le calcaire est extrèmement acéré: on dirait des aiguilles ou des lames de rasoir or on doit souvent sauter d’aiguille en aiguille pour avancer. On verra ce soir.

Soudain un coup de tonnerre puissant fait vibrer la montagne.
Haha… Nous y voilà! Ca faisait quelques temps qu’on le voyait gonfler ce nuage, maintenant il vient sur nous. Après quelques passages délicats, on avait commencé à gravir la Table des Trois Rois, en pleine ascension, il pouvait pas mieux tomber cet orage…
On ne s’arrête pas, ou à peine pour mettre les blousons et les housses anti-pluie sur les sacs quand il se met à pleuvoir. En 15 minutes il est sur nous. D’abord une bonne pluie avec du tonnerre, puis des grêlons de bonne taille qui fouettent bien… Mon chapeau me protège le visage mais il est tellement mouillé qu’en tombant sur mes joues il fait aussi office d’oeillères, ça nous fait marrer! Avec la grêle les coups de tonnerre se transforment en claquements assourdissants vraiment impressionnants.
Les rochers deviennent trempés et glissant à cause des grêlons, je tords un de mes bâtons en tombant dessus. Heureusement et à ma grande surprise j’arrive à le redresser sans problème: ça doit pas être le même acier que mes batons Gipron!
On continue de progresser calmement et on arrive au col de Lhurs. De là la vision est apocalyptique. Le déluge de pluie et de grêle dévale les parois impressionnantes de la face est de la Table des Rois. Le ciel noir donne une vision encore plus sombre au tableau. Chaque éclair illumine la scène, instantanément accompagné d’un coup de tonnerre. D’où nous sommes, la face semble sans fin: des nuages masquent le bas de la paroi. Je prends une photo, Nico fait le gogol pour… détendre l’atmosphère !!

On prend à droite et on poursuit la montée, arrivés au col entre la Table des Trois Rois et le Pic des Trois Rois, on pousse un "ouf" de soulagement. On n’avait eu aucune info sur la descente vers le col d’Escoueste or vue d’ici il nous semble qu’elle ne nous posera pas de problème. Heureusement!

L’orage s’est calmé, il pleut à peine à présent, cependant toute la vallée sous le col est dans le brouillard, j’espère qu’on arrivera à trouver les cabanes de Pédain situées 800m plus bas…
Il se fait tard, on n’ira pas jusqu’au sommet de la Table. La descente jusqu’au col d’Escoueste se fait sans trop de problème (rester bien à gauche) et dès le col passé, on se retrouve dans une purée de pois impressionnante: on voit pas à 10m !

On est dans un cône d’ébouli qui descend assez raide par endroits, alors c’est simple: on se fait plaisir en y allant schuss, descente sportive. C’est déconseillé avec ce type de chaussures mais on le sent bien. Les jambes ont encore la pêche et on en est étonnés.
Par contre là, vraiment, c’est sûr nos godasses sont mortes! On n’a même pas pris la peine de les controler après le Lapiaz, à cause du déluge elles sont trempées alors ces éboulis doivent les achever.
Quand la pente s’aplatit, on s’éloigne jusqu’à voir à peine l’autre et on descend la pente en parallèle. J’ai étalonné l’altimètre au col et les cabanes sont situées juste sous les 1600m.

On descend lentement en scrutant le brouillard, plusieurs fois on prend un gros bloc pour une cabane et on fait un petit détour pour rien. Nico longe une rivière, il assouvit enfin sa soif. J’ai trop hâte de trouver la cabane, je ne prends que quelques gorgées.

On finit par tomber sur une maison et une cabane. Ouf. On est content d’arriver: le canyar espagnol, puis la galère dans la forêt, la soif dans le lapiaz, les crevasses pour rejoindre la Table, l’orage au col de Lhurs et le brouillard pour finir, on va bien dormir!
Mais que ça se sache: le patou de Pédain est efficace! Alors qu’on approche de la cabane, il fonce vers nous en aboyant méchamment, on fait demi-tour… Raaa, on n’était pas loin pourtant!
Les brebis sont en fait derrière la cabane, on va faire un tour et on revient: le troupeau est monté plus haut et le patou avec. On s’approche alors petit à petit mais il nous aperçoit et commence à descendre la colline en aboyant. On continue à marcher vers la cabane, mais à vive allure… "Ne pas courir on se dit".
Mais le doute nous prend, on finit la journée par un bon sprint pour arriver à la cabane et rentrer avant que le chien n’arrive! Ah les petits joueurs! J’arrive premier -parce que j’ai été le premier à me mettre à sprinter!- le loquet est un peu réticent… Voilà ça s’ouvre, on s’engouffre et on ferme le bas de la porte… Le monstre arrive mais il n’est plus agressif et accepte quelques caresses.
Ca y est, on y est.
Mais dans la cabane on trouve un pantalon et diverses affaires. Je croyais qu’une des cabanes de Pédain était prêtée aux randonneurs. Dans le brouillard total où nous sommes, je me dis que ce n’est peut-être pas celles là… Il faut vérifier, un dernier effort, on repart donc chercher alentour mais rien.
On s’installera donc dans la cabane, si le berger revient on lui laissera la place.

La cabane est petite mais sympa: lit, matelas, table et chaise et cheminée.
La "douche" est dure ce soir, mais elle nous fait énormément de bien: toute la tension de la journée retombe. On examine nos chaussures… Incroyable, aucune déchirure, à part un peu de gomme qui se décolle dessous au niveau de la plante du pied, rien à signaler. Ca m’épate.
Le soir le brouillard disparait, les fameuses aiguilles d’Ansabère apparaissent enfin dans la lumière du soleil couchant. C’est sublime je reste seul un moment pour jouir du spectacle.

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