La seconde semaine est placée sous le signe des tempêtes de vents. Est ce le signe de l'arrivée du printemps ?
Quatre heures seulement après avoir quitté la cabane, le vent se lève. Il vient me rafraîchir le visage de ¾ droite. La neige court au sol. A mesure que le temps passe, l'intensité du vent augmente. La chaleur dégagée en skiant n'arrive même plus à me réchauffer. Je plante la tente sur la banquise, sur la glace vive, et m'y réfugie. Le changement est saisissant. A l'intérieur, c'est le calme. Le vent courbe les arceaux de la tente. Il me reste qu'à espérer qu'ils tiendront le choc. Aux abords de la tente, pas de neige. Je ne peux donc ni boire ni manger de plats chauds. Il ne me reste plus qu'à me contenter de mes barres de céréales. Le temps passe et le vent ne faiblit pas. Après 27 heures sous la tente, le calme semble revenu. Est ce une réalité, de l'auto persuasion ou une accalmie temporaire ? Sûrement un peu des trois. Après 30 heures, je ne tiens plus en place et je décide de repartir. Le vent est glacial mais qu'il est bon de se retrouver sur des skis.
La température remonte jusqu'à -25°C. Cependant le vent la fait chuter et m'interdit toute pause.
Je traverse le fjord de Vendom et touche à nouveau la terre. Les vents ont tout balayé. Le manque de neige ralentit ma progression et me contraint à faire des détours. Quand ce n'est plus possible, je déchausse, marche sur des lits de cailloux en espérant que la pulka ne sera pas trop endommagée.
Le lit de la rivière, encaissé d'environ 5 mètres, est très sinueux et je traverse alternativement des zones sans neige, des passages sur cailloux puis des amas de poudreuse où je m'enfonce jusqu'aux genoux.
Je rencontre mes premières grosses hardes de bœufs musqués. Lorsqu'ils sont en alerte, ils se déplacent tous ensemble. Je suis impressionné par leur talent de montagnard. Quelle que soit la pente, ils la gravissent. En effet dès qu'ils se sentent en danger, ils préfèrent prendre de l'altitude pour dominer leur " agresseur ".
Je passe ensuite un col. Les conditions climatiques difficiles m'usent. Mon tendon d'Achille a doublé de volume. A froid, la première demi-heure est extrêmement douloureuse puis une fois chaud la douleur s'estompe.
Mon moral est au beau fixe car je longe ma première piste de loup. Les empreintes sont énormes. La déception vient peu de temps après lorsque je constate que ma pulka a énormément souffert des passages sur les cailloux. Elle est fendue sur une vingtaine de centimètres. A l'aide de scotch je tente de la réparer.
Je passe dans des gorges où la glace est vive. A plusieurs reprise je chute sans gravité.
Je passe un nouveau col sans m'en rendre compte car je suis dans le white out complet. Je ne vois plus que du blanc et ne perçois même pas le relief à mes pieds. A chaque pas, c'est l'inconnu et je ne sais pas si je monte ou descends. Le vent revient, devient plus intense, des bourrasques de neige me giflent le visage. Je ne vois plus rien, je ne suis pourtant qu'à quelques centaines de mètres du fjord et suis contraint de me réfugier sous la tente pour me réchauffer.
Jean-Marc Périgaud, Aventurier, Photographe et Guide Polaire