Dans l’atmosphère brumeuse de ce début juillet, un navire quitte la petite ville d’Ísafjörður, dans l’Ouest islandais. A son bord, ma femme et moi prenons place aux côtés d’une demi-douzaine de personnes. Passagers, équipage et sacs à dos XXL peinent à trouver de la place à l’abri de la minuscule cabine. Notre destination, le Hornstrandir, cette péninsule isolée, inhabitée et qu’aucune route ne dessert. Un à un les passagers sont déposés sur la berge, au gré du parcours que chacun à choisi. Tous s’engagent sur de longs et exigeants trekkings. Nous les regardons partir d’un pas rapide et lourdement chargés de l’équipement et des vivres pour 5 à 10 jours. Pour notre part, nous n’atteignons Hesteyri, notre destination, qu’après deux heures de navigation.
Slow hiking dans le Hornstrandir
Une opération du genou qui tarde à se remettre, une envie de savourer différemment le voyage, de marquer une rupture avec un quotidien en perpétuelle course contre le temps, un refus de ce culte de la performance qui nous poursuit jusque sur les sentiers … Autant de prétextes qui nous ont poussés à construire ce projet de slow hike dans le Hornstrandir.
Slow hike, marche lente en anglais mais également un clin d’œil à ce mouvement de slow food né en réaction au fast food. Refuser le prêt à consommer des itinéraires « tout prêts », des sentiers à parcourir le plus vite possible, … Reprendre le goût de la marche, de sa lenteur, de ses vertus contemplatives. Slow hike, le mot sonne à la fois comme une philosophie et comme une blague potache dont on est fiers. Plus concrètement notre projet consiste à dresser le bivouac six jours à Hesteyri et en explorer les environs avec une méthodique lenteur.
L’abside de la tente s’ouvre au Sud, face au fjord. Au Nord, juste derrière, une succession de plateaux s’étagent du vert tendre des altitudes les plus basses au landes minérales ponctuées de névés. A l’Ouest, une plage sans fin. A l’Est, non loin, le hameau d’Hesteyri, abandonné dans les années cinquante et sa « Doctor’s House » transformée aujourd’hui en refuge. Autant de territoires à parcourir, de rencontres possibles …
De l’autre côté des collines
Seconde journée. Le chant plaintif des pluviers dorés et l’étrange bourdonnement de la bécassine accompagnent nos pas vers le Nord. Le sentier parcourt quelques centaines de mètres d’un marais où se mêlent le bleu éclatant des géraniums, l’or des renoncules et le blanc immaculé des angéliques géantes. Étonnant camaïeu de couleurs dans un pays dont on pense souvent la palette limitée au verts et noir. Ici, la côte de 150 m marque pour la végétation la même limite que les 3000 m dans nos Alpes. Dans notre dos le vent du Sud amène par bourrasques les parfums iodés du fjord. Bientôt le soleil laisse place à la pluie, torrentielle ! Le col atteint, l’immensité infinie d’un plateau rocheux se dessine devant nous, bordée de hautes falaises plongeant dans l’océan balayé par les rafales. Se serait mentir que de prétendre que l’alignement de cairns qui disparaît dans les brumes ne nous attire pas. Mais il faut apprendre à savourer l’instant, prendre le temps d’être pleinement là, intellectuellement et physiquement. Marquer une pause, enfiler l’indispensable doudoune pour lutter contre les petits 3°C et les rafales qui atteignent les 7 Beaufort. Quelques instants nous partageons l’abri d’un rocher monumental avec un tapis de dryades. Ces petites fleurs blanches arctiques poussent en tapis serré, au ras du sol et ont ainsi résolu deux défis majeurs pour survivre ici : Retenir les maigres matières nutritives du sol entre les mailles de leurs racines et réduire la déshydratation en opposant au vent le réseau dense de leurs feuilles velues. Slow hike, le voyage est aussi dans les détails.
Sieste au soleil arctique
A côté du refuge, un pont sommaire auquel manquent quelques planches nous permet de franchir le torrent. Salka, la gardienne, étend le linge sous les rayons d’un soleil arctique étincelant. Le sentier file plein Est, dominant le fjord de quelques mètres à peine. Goélands et eiders viennent laver leurs plumages à l’embouchure du torrent. Des orchidées tachetées bordent le chemin de terre où nous avançons sans difficulté. Les températures nous obligent à jongler avec les couches de vêtements, tantôt en t-shirts, tantôt en gore-tex selon le vent. Sur la plage quelques empreintes marquent la présence du seul mammifère terrestre autochtone de l’île. Melrakki, comme le nomment les islandais était là bien avant les vikings. Une boule de poils de la taille d’un gros chat, une queue aussi grosse que le corps … le voilà qui passe juste à côté de nous. Nous nous asseyons, le laissons approcher, humer nos odeurs de sa minuscule truffe, scruter les détails de ses yeux ambre. La rencontre avec ce renard arctique est d’une intensité inouïe. C’est celle avec un animal libre et qui n’a pas appris à avoir peur de l’homme. Nos gestes sont lents, mesurés, je m’allonge dans les thyms arctiques et le voilà qui approche, se couche également et … s’endort. Moins d’un mètre cinquante nous séparent. J’entends son souffle, vois sa respiration apaisée soulever ses côtes tout au plaisir d’une sieste au soleil des fjords islandais. Rentrés au bivouac, nous écoutons un jeune couple américain croisé sur le bateau nous raconter son trek qui s’achève ici. La beauté des paysages, les longues heures à se perdre dans le brouillard, la fierté d’avoir bouclé ce parcours engagé. Et de conclure « ce qui manquera à notre périple c’est de n’avoir pas vu Melrakki ». Slow hike, le voyage est aussi dans la rencontre.
Kayak de mer au Hornstrandir
Le bateau nous rejoint à Hesteyri. De son bord descendent les six compagnons de la suite de notre aventure, Mike et Hákon nos guides, et tout l’équipement. Kayaks de mer, vivres, sacs étanches, combinaisons … tout est là pour affronter les eaux fraîches du fjord au cours de la semaine d’itinérance qui nous conduira aux portes d’Ísafjörður.
Coups de pagaies sur le miroir du Lonafjörður
Deux jours déjà que nous pagayons dans les fjords, que nous savourons le spectacle des cascades qui dévalent les falaises basaltiques, le vert des collines ponctué des fleurs multicolores. L’activité est permanente : fulmars curieux qui nous survolent, aigles pêcheurs qui paradent, phoques veau-marins innombrables qui lézardent. Aujourd’hui, le ciel est légèrement voilé, beaufort 0, un fait plutôt rare au pays des vents. Selon la lumière, nous avons tour à tour le sentiment de naviguer sur un miroir ou d’être en lévitation sur les eaux translucides du fjord. Le paysage subaquatique se révèle au rythme lent de notre progression : forêts de kelps peuplées de bancs de morues, méduses géantes et colorées où s’abrient de minuscules poissons-hôtes. Plus de huit heures de kayak plus tard, nous atteignons le refuge de Kviar, notre halte du soir. Dans la chaleur bienfaitrice de son sauna se mêlent nos souvenirs du jour : la silhouette enneigée du Standahilð, le fracas des cascades, l’odeur iodée des laisses de mer et la silhouette des renards venus humer notre présence …
Géants des mers
Voilà, aujourd’hui s’achève déjà notre parcours. Nous levons le dernier bivouac, planté face à plus de 75 m de cascade écumante. Nous quittons la petite baie et son phoque gris venu jouer à cache-cache avec nos kayaks, mordiller nos dérives. La promesse de nombreux oiseaux et un vent qui se lève et devrait s’établir autour des 3-4 Bft. achèvent de nous décider à aller chercher la protection des îles Aedey et Vigur pour parcourir l’Ísafjarðardjúp. Il s’agit là du plus vaste des fjords du Hornstrandir, relativement ouvert sur la houle de l’Atlantique Nord. Les innombrables observations de pingouins, de guillemots et de macareux accaparent notre attention mais les heures passent. La fatigue se fait sentir, le rythme ralentit face à ce vent de travers. D’un cri, Hákon vient de doper l’énergie du groupe. « Whales ! ». Nous savions la rencontre avec les baleines possible, mais nous n’osions y croire. Elles sont pourtant là et la grosse demie heure qui nous sépare de leurs souffles est avalée faisant fi de la fatigue et du vent. Puis nous voilà propulsés dans un tourbillon d’émotions. Elles sont six. Six baleines à bosses, six géantes de 14 mètres et 25 tonnes. Le vent nous pousse parmi elles, les souffles jaillissent à quelques mètres, les silhouettes se dessinent sous les kayaks, un œil scrute ces moucherons de surface que nous sommes. Excitation, peur, enthousiasme, admiration, … dans le clapot inconfortable d’une mer qui se lève, empêche les prises de vues et complique la navigation nous expérimentons toute la palette des sentiments. Une large caudale se lève et frappe latéralement l’eau, à quelques mètres d’un kayak. Le géant des mer sonne la fin du spectacle d’un avertissement qu’il serait fou d’ignorer. Nous achevons notre traversée submergés par la magie de cette aventure. Mais n’était-ce pas un rêve ? Une unique photo témoigne que ce ne fut pas le cas.
Informations pratiques
L’itinéraire se déroule dans ce qui est sans doute une des plus belle zone de nature sauvage d’Europe. Une beauté fragile et protégée par la réserve naturelle du Hornstrandir. Il est important de prendre connaissance auprès des rangers, sur place, des conditions de sécurité liées à la météo et l’enneigement ainsi que de la réglementation spécifique. Les règles élémentaires de respect de la nature s’imposent : pas de bivouac en dehors des aires prévues, jamais sur les dunes qui sont très fragiles, pas de feu, pas de nourrisage ni de dérangement de la faune.
Formalités
L’Islande est membre de l’espace Schengen, une simple carte d’identité permet aux ressortissants de l’UE de s’y rendre.
Accès
L’aéroport de Keflavik – Islande est accessible par vol internationaux réguliers et charters. De là, un car conduit à la capitale Keflavik d’où il est possible de rejoindre Ísafjörður soit par vol interne soit en car. L’agence Borea organise les navettes avec le Hornstrandir.
Sécurité-santé
Le Hornstrandir possède la réputation justifiée d’une météo particulièrement capricieuse et violente. Toute randonnée prévue en autonomie doit être minutieusement préparée et le parcours laissé aux autorités. Le brouillard, la neige, le froid sont réguliers, même au coeur de l’été et peuvent surprendre les plus aguerris. Ce qui est vrai pour la randonnée pédestre l’est encore plus pour le kayak de mer. Il ne doit ici être pratiquée qu’en pleine conscience de ses propres capacités physiques et techniques et avec une certaine expérience de la mer. Le recours à un guide expérimenté et maîtrisant parfaitement la région me semble impérieuse.
Quand y aller ?
L’été arctique est bref. Si à terre les névés sont abondants jusque début juillet, rendant impraticables les cols, la période propice au kayak commence dès la mi-juin. Août sonne la fin de la récréation avec les premiers coups de vents d’automne.
Avec qui partir, préparer son voyage
Seule agence française spécialisée dans les séjours à la pagaie, Unghalak vous accompagne dans votre apprentissage du kayak de mer grâce à des stages techniques et vous propose cet itinéraire prestigieux.
A lire, à voir
Editée par Ferdakort, dans la série Serkort, la carte topographique Hornstrandir au 1:100 000 offre une bonne vision d’ensemble de la péninsule.
Chez l’éditeur Marcus “Islande, le guide de l’île aux volcans” est sûrement le guide de voyage francophone le plus complet, abordant le pays dans sa globalité : géographie et géologie, volcans, végétation, faune, histoire, mythologie, langue, économie …
Parmi les auteurs de polars islandais (Árni Þórarinsson, Jón Hallur Stefánsson, …) j’ai un goût particulier pour Arnaldur Indriðason qui sait, sous couvert d’intrigue policière, vous plonge dans la société islandaise, son histoire, ses défis.
Les amateurs de frissons ne manqueront pas de regarder Ég man þig (I remember you) au retour de leur aventure. Je dis bien au retour car je ne donne pas cher de votre sommeil après avoir vu ce film d’Óskar Thór Axelsson entièrement tourné sur place.
Enfin, les amoureux de photo se plongeront avec bonheur dans l’oeuvre de Ragnar Axelson qui sait si bien restituer l’âme de ce pays fantastique et dans celle du photographe lyonnais Samy Berkani et son magnifique ouvrage sur le cheval d’Islande.
Reportages d’itinérances à pied, à la pagaie et à ski-pulka