Pissos -> Le Muret – 17 km

Circuit pédestre, plus de 210 kms, 3 départements parcourus, une quinzaine de villages traversés

Focus Rando :Pissos -> Le Muret – 17 km

De mieux en mieux, l’oubli d’une existence mondaine et parisienne en dehors de mon cadre verdoyant s’amplifiait. Sensation supplémentaire et unique en me joignant à mes hôtes, sur la terrasse extérieure, pour un petit-déjeuner copieux.

La seule pensée d’un tel souvenir me réchauffe l’esprit. La discussion animée avec le couple de retraités allongea notre festin. Pieds sous la table, voisinage silencieux, muraille forestière, voilà bien un savoureux moment de détente et de contemplation.

Dans la crainte d’une nouvelle canicule, la sécheresse menaçait les arrosages excessifs. Un pic de 40° devait être atteint dans les prochains jours. L’arrosage, pour cause, allait être limité par la municipalité. Ce qui mettait en rogne l’ancien instructeur militaire.

Le parler et la ténacité de celui-ci me brusquaient parfois. Sa vivacité à vouloir aider son prochain faisait impasse sur sa rudesse. Ainsi il accepta de me véhiculer jusqu’à Pissos pour pouvoir me ravitailler en eau et en fruits. Attention : selon le chemin par lequel j’ai débarqué la veille, il s’abstint avec fermeté de le suivre, sous prétexte que j’allais devoir y passer à nouveau afin de respecter le cours de mon itinéraire. En ce sens, il sortit du jardin par un différent chemin, qu’il emprunta également au retour. Cette boucle additionnelle, en transport motorisé, s’exclurait elle-même du décompte final en kilométrage de mon circuit.

Je quittai mes hôtes avec la promesse de leur prévenir une fois mon roman publié. Cette échéance était fixée dans les trois années à venir.

Gagnant le sentier par lequel j’étais arrivé, je consultai scrupuleusement ma carte IGN et considérai la piste jusqu’à Moustey. Or, fidèle à mon indépendance et surtout par commodité, les premières heures de mon étape ne prirent nullement en compte le tracé de Compostelle.

J’évoluai sur des chemins de traverse au sol sableux, parfois boueux. Sans panneau indicateur, le repérage entre les champs de vigne fut utopique. Après avoir serpenté au hasard des lignes noires figurant sur la carte IGN, j’atteignis, au nord de Pissos, une voie goudronnée longeant d’autres champs. La margelle d’un mini pont, enseveli par la végétation et protégé du soleil par une allée d’arbres, me fit office de banc.

J’observai le paysage serein au ciel azur ; en l’absence d’une quelconque brise, il m’apparut empreint d’une solitude et d’une platitude sans nom. En tout cas, j’étais sur le bon chemin pour Moustey.

Depuis un sentier coupant le champ en face, un cycliste dépassa mon coin ombragé et m’aperçut d’un œil fugitif. L’homme d’une soixantaine d’année pédala quelques mètres avant de braquer à droite et de revenir en arrière. Il s’interrompit à ma hauteur : « Vous faîtes le chemin de Compostelle ? », me questionna-t-il, un pied sur le bitume. Je lui répondis sans façon que je suis loin d’être un pèlerin et que j’ai moi-même fixé le circuit étrange de mon voyage, sans appui extérieur.

Il me regarda interloqué et me souhaita bonne chance. Un nouveau coup de pédale et le voilà reparti ! Après une grande gorgée d’eau, je repris également la route.

A une centaine de mètres avant Moustey, je déchargeais mes épaules de mon sac, à l’ombre d’un arbre. Je haletais à grands renforts de poitrine, qui se gonflait, se dégonflait. Un véhicule de La Poste était à l’arrêt, à l’entrée d’une résidence. Une femme en descendit et, après un bref regard dans ma direction, se dirigea vers moi. Brandissant une bouteille d’eau de 50 cl, elle me lança : « Il fait trop chaud aujourd’hui. Tenez, je vous la donne. Je n’ai pas meilleur à vous proposer. A Moustey, il y a une épicerie, à gauche en face du restaurant ». Puis elle s’éloigna. J’ai à peine eu le temps de la remercier. Elle grimpa dans la voiture et disparut de mon champ de vision.

Son geste soudain renforçait ma sympathie à l’égard des habitants landais. Vite désaltéré, j’entrai dans la commune. Connue pour le voisinage de ses deux églises, l’une paroissiale et l’autre ancienne église d’un hôpital des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle, elle est également le point de fusion de deux rivières : la Petite et la Grande Leyre qui, réunies, forment l’Eyre.

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Dans le meilleur des cas, le village est parfait pour une restauration simple et reposante, sur un airial, attablé.

Je suivis une départementale montante jusqu’à une base de loisirs. Par ici, en s’enfonçant dans large couloir boisé, l’air fut plus frais. Deux heures environ suffisent pour aborder Saugnacq, autre étape essentielle pour Compostelle. Malgré un incroyable début de côte, la traversée est rapide. Et pourtant, bien que proche de mon nouvel hébergement, j’en étais encore éloigné de quelques kilomètres.

A la sortie du village, au lieu de passer le long de la Nationale, j’ai bifurqué dans un interminable sentier forestier et sablonneux. Le balisage de Compostelle est peu présent, sans doute pour encore éprouver les croyants à une lointaine époque. A maintes reprises, je crus me perdre tellement les pistes se croisaient sans indication précise. Tantôt elles piquaient une descente dans la vallée enfermée par une voûte feuillue, tantôt cela grimpait en une sinuosité vertigineuse. L’épilogue de cette couronne boisée et épineuse s’accomplit au rythme effréné des voitures sur l’autoroute.

A 19 heures passées, je parvins enfin au Muret, après un passage souterrain pour éviter le tracé de l’autoroute 63. Un coup de fil à mes futurs hôtes de « La Maranne » pour leur signaler mon retard et que j’arrivais. La messagerie se déclencha d’emblée. Inhabituel sans être inquiétant. Les pieds alourdis et la transpiration s’agglutinant à la peau, je traversai le Muret, bourgade à la porte des Landes et principal relais routier. Jointe à Saugnacq, la commune est un lieu de pèlerinage incontesté.

Dans ce cadre, « La Maranne » privilégie d’une situation confortable à destination des gens de passage ou des pèlerins de Compostelle. Ils disposent d’un sauna et d’un jacuzzi, véritables relaxants après une journée éreintante.

Sonnant à la porte du grillage, j’observai une affiche collée à des barreaux. Déclinée en quatre langues, elle précisait : « Fermé jusqu’au 14 juin 2006 ». Je ressassai cette information dans des minutes infinies, avant d’ouvrir mon gros sac à dos pour en ôter le cahier renfermant toutes mes réservations de nuitées. Le 14 mai, je reçus leur contrat par courrier, à leur renvoyer signé et complété, joint à un chèque de règlement. Le contrat stipulait avec exactitude la date du 13 juin au soir. Aucune ambiguïté ou erreur de ma part. Je leur téléphonai à nouveau. Toujours la messagerie. Leur absence me mettait dans l’embarras : ma perception de chambre d’hôtes venait de prendre un sérieux revers. Le fait de trouver porte close sans même avoir été averti me contraignait à une solution de rechange.

Par habitude, j’avais sélectionné au minimum deux chambres d’hôtes ou établissements hôteliers par étape, avec description détaillée.

« Le Grandgousier » appartient au label « Logis de France » dont la qualité est incontestable. Non choisi préalablement compte tenu de leurs tarifs de chambrées, les circonstances actuelles me poussèrent d’urgence à faire appel à leurs services.

Traversant le bar, les clients, le barman et une cuisinière restaient statufiés devant un match de foot, où jouait les Bleus. Etait-ce une raison pour m’oublier à la réception, lorsque je m’y rendis en y découvrant personne ? Je pressai sur la sonnette prévue pour annoncer mon arrivée. Au bout de cinq minutes, l’endroit était aussi désert qu’avant. Un miroir à proximité me montra tel que j’étais : en piteux état, le front ruisselant de grosses gouttes, le visage hagard, les vêtements salis par le sable et, par-dessus tout, émanait de moi une odeur à faire fuir les crapauds, avec ce mélange de senteur forestière et de parfum de putois mort.

Je revins vers le bar, je croisai la cuisinière et lui demandai qui pourrait m’accueillir. Finalement, un réceptionniste se présenta. Je réservai la chambre la moins chère, sans confort. Ainsi, rien à voir avec ce que je m’étais imaginé au préalable ! J’exposai mon souci avec « La Maranne ». Le réceptionniste, étonné, téléphona à son tour aux propriétaires. Aucune réponse.

Je pris possession de ma chambre avec soulagement. Douche rapide associée à un renouvellement de vêtements propres, me voilà redescendu pour le dîner. Au restaurant de l’hôtel, je ruminais en silence mon infortune. Bien entendu, le menu choisi correspondait au moins onéreux, assorti d’un minimum d’excès, exemple d’une bouteille de vin rouge à la contenance raisonnable mais suffisante pour entreprendre à oublier cette histoire et mieux me plonger dans sa narration.

Afin de positiver mon improvisation de dernière minute, dirons-nous que cela fait partie de l’aventure et que rien, à regrets, ne peut éviter pareils désagréments n’importe le niveau de préparation.

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