Lors d'un voyage à vélo de plus de deux mois dans ce beau pays qu'est le Maroc, j'ai troqué trois fois le vélo pour le sac à dos afin d'aller visiter des lieux moins accessibles et plus sauvages encore. La première fois, sur les conseils de mon collègue Vincent Geus, auteur d'un livre sur les treks du Maroc, nous sommes allés randonner 3 jours à partir du village de Oudeddi, à proximité de Imilchil. Ce village se situe dans le Haut Atlas sur l'axe Tinghir-Beni Mellal, à 2100 mètres d'altitude. Les autres carnets s'intitulent 4 jours de randonnée dans le Haut-Atlas en passant par le M'Goun et 2 jours de rando dans le Djebel Saghro.
La rivière Melloul prend sa source dans les hautes montagnes de l'Atlas au nord de Tinghir et serpente de manière impressionnante au fond de gorges et canyons impressionnants, qu'elle a creusé dans une roche sédimentaire, jusqu'à se jeter dans la rivière Assif Dunachale pour alimenter la retenue du barrage de Bin El Ouidane au sud de Beni Mellal.
Le premier jour de la randonnée s'effectue entièrement dans le lit de la rivière, avec souvent les pieds dans l'eau. Il est donc fortement conseillé d'être équipé de sandales de marche ou de chaussures qui finiront trempées. Le terrain n'est pas du tout adapté à une progression pieds nus ou en sandales sans véritables semelles et qui tiennent le pied. Aucun balisage pour cette randonnée qui se déroule en grande partie hors sentier. Il n'y a aucune difficulté technique mais il faut savoir s'orienter, naviguer en montagne, progresser sur du terrain technique caillouteux avec un sac lourd sur le dos. En contrepartie, nous aurons l'assurance de ne croiser que des autochtones. Aucune possibilité de se ravitailler en nourriture en cours de route et les sources sont rares, il est donc conseillé de partir avec plusieurs litres d'eau et de recharger dès que l'occasion se présente à l'aide d'un filtre. C'est pour toutes ces raisons que je classe cette randonnée de 3 jours en niveau 4. Pas d'hébergement non plus, bivouacs sous tente ou nuits sous les belles étoiles…
Jour 1 : canyon de l'assif Melloul de Oudeddi à Igherm n’Ouchtim
+100 m 22 kmAvec Philippe, mon coéquipier, nous commençons par louer les services d'un triporteur de Imilchil pour nous rendre à Oudeddi, à 8 km au sud-ouest. Ce sera également notre point de retour, nous prenons soin de prendre les coordonnées de Zaïd pour qu'il revienne nous chercher dans 3 jours. Le transfert motorisé ne dure pas longtemps, la petite route est asphaltée et plate. Nous sommes déjà dans la large et verdoyante vallée de l'Assif Melloul, ce qui reste du cours d'eau est entouré de jardins et de cultures où les gens s'activent, labourant sans moyen mécanisé. Nous doublons ou croisons des personnes juchées sur leur âne. La première journée de marche suit entièrement le cours de la rivière.
A Oulghazi, dernier village, nous devons présenter nos passeports au représentant local de l'autorité, qui les photographie puis téléphone. Nous partons, mais cette sympathique personne nous suit jusqu'à ce qu'il obtienne la permission de nous laisser aller… Très vite, nous nous retrouvons entre deux murailles de roches rouges de quelques centaines de mètres de haut, corridor minéral impressionnant. Nous mettons les sandales et nous engageons dans le canyon d'où nous ne sortirons pas avant le lendemain en fin de matinée. Nous croisons quelques enfants bergers avec leur troupeau de chèvres et quelques adultes perchés sur des ânes chargés de ballots. Le canyon est une voie de communication pour les autochtones et j'ai surtout le sentiment profond et assez violent d'avoir été jetée dans un autre temps, celui des caravanes. Le décor et les acteurs sont à 10 000 lieues de ma vie d'occidentale, dépaysement assuré…
Le canyon forme de grands méandres dans les couches sédimentaires et nous cheminons comme nous pouvons sur les cailloux qui composent le sol. Il n'y a pas de sentier à proprement parler, parfois seulement la sente des troupeaux. Après 22 km dans ce défilé rocheux, le dos endolori et les pieds meurtris, nous posons nos sacs à dos à un des rares endroits où le sol pourra accueillir deux tentes sur la berge, légèrement en hauteur. En levant les yeux, nous voyons, dans la paroi, des constructions en bois le long d'une vire rocheuse impressionnante. Ce sont des greniers… Ils contenaient jusqu’à il y a peu les récoltes des 350 familles des villages du coin. Ils pouvaient être défendus des razzias par un seul homme muni d’un fusil… Au moins avons-nous de l'eau à disposition pour nous rafraichir et nous laver.
Jour 2 : De Igherm n’Ouchtim jusqu'à 1 km à l'Ouest de Achlim
+ 910 m 16,4 kmLe niveau de l'eau a baissé d'une trentaine de centimètres dans la nuit. Ceci s'explique par le fait que les jours qui ont précédé notre arrivée à Imilchil, de gros orages ont fait gonfler les rivières qui peu à peu reprennent leur niveau normal. Nous nous mettons en route assez tôt, profitant de la fraîcheur du fond ombragé du canyon de Melloul. Peu après être passés vers des sources généreuses où nous nous chargeons comme des mules, le canyon s'élargit, les parois laissent la place à des pentes rocailleuses qui permettent de s'échapper. C'est ce que nous faisons. À noter qu'il est tout à fait possible de continuer jusqu'à Botli puis de rejoindre Anergui par la piste carrossable. Nous quittons le canyon par la droite et atteignons rapidement le hameau de Laadi Botli.
De là, des sentes nous permettent de monter dans un paysage aride et rocailleux jusqu'au col Aguerd Azigzao à 2570 m. Sur notre chemin, nous voyons quelques campements de berbères nomades, dérangeons sans faire exprès un vieux berger en pleine sieste à l'ombre de l'unique arbrisseau du secteur et laissons beaucoup de sueur dans la caillasse. Passés le col, nous basculons dans un vallon et nous laissons descendre jusqu'à apercevoir le village de Achlim. N'ayant pas encore décidé par quel itinéraire nous passerons le lendemain, nous nous posons à l'ombre de deux arbres à un endroit nous laissant toute latitude pour le jour suivant. Il est compliqué de mettre des noms sur les endroits où nous sommes passés puisque nos cartes sont muettes à ce niveau-là ! Dans la soirée, un berger accompagnant le retour de ses chèvres vient s'assoir un moment vers nous. Pour réunir son troupeau, il se sert d'un gros lance-pierres d'une efficacité redoutable, une véritable arme !
Jour 3 : Des environs de Achlim à Oudeddi
+ 790 m 20,4 kmLes chiens ont aboyé tard dans la soirée au fond de la vallée, mais la nuit fut bonne et tranquille. À 8 heures, nous sommes dans les chaussures et sacs sur le dos. Après quelques hésitations, Philippe décide de m'accompagner sur l'itinéraire qui n'est ni le plus court ni le plus facile, mais qui promet de beaux paysages variés. Mon choix est également dicté par la nécessité que nous avons de nous acclimater pour l'ascension du M'Goun (4071 m) dans quelques jours.
Dès le départ, en voulant couper à flanc de coteau direction nord-est, nous nous retrouvons devant une ravine rocheuse trop haute pour être franchie et devons redescendre pour la contourner. La suite est facile et ludique, nous remontons un cours d'eau à sec, avec toutefois quelques flaques (au besoin pour remplir les gourdes), et débouchons à un col à 2830 m. Pas de sentier sur toute cette partie, mais le relief permet de naviguer facilement. En poursuivant nord-est sur la courbe 2830, nous rejoignons un autre col où nous retrouvons des sentiers et basculons dans une magnifique et large vallée pastorale qui me rappelle l'Asie centrale, et semble se nommer Aqqa n'Imghal. La vallée est irriguée par un vrai ruisseau, un des premiers que nous voyons dans ce pays, et elle est habitée en permanence, bien qu'inaccessible en véhicule.
Nous croisons des enfants bergers, mais aussi des enfants scolarisés, il y a une école un peu plus bas, les femmes font la lessive dans le torrent, les hommes discutent, les ânes attendent sagement, chargés de ballots colorés. Après que la vallée et le torrent aient fait un virage à droite, nous prenons une sente assez peu visible sur la gauche pour remonter vers un col à 2560 m qui nous fait basculer pour arriver directement à Oudeddi après un long cheminement dans un univers de nouveau désertique, dans des paysages très ouverts où la vue porte loin sur des montagnes plus hautes. Arrivés à Oudeddi, mon corps perclus par la chaleur, je me mets à l'ombre en attendant Zaïd et son triporteur qui nous ramènent à Imilchil le nez et les cheveux dans le vent !