Le 15 juin 2021, nous nous sommes lancés dans une randonnée de 4500 km. Notre but, rejoindre la Turquie à pied. Cet article vient achever notre marche qui a débuté à Dijon.
Si vous prenez notre aventure en cours de route, vous pouvez lire nos précédents articles :
- 400 km à pied, de Dijon à Bâle
- Randonnée le long du Rhin, de Bâle à Bregenz
- 270 km dans les Alpes Autrichiennes, sur le GR européen 5
- L’Italie du Nord à pied, du Tyrol au Frioul
- Randonnée en Slovénie, 600 km d’ouest en est
- Randonnée en Transdanubie en Hongrie
- Randonnée hivernale sur les bords du Danube
- 700 km à pied à travers la Bulgarie
Nous avons quitté nos emplois, notre vie parisienne, notre appartement. Nous avons mis toutes nos affaires dans des cartons pour ne garder qu’un sac de 7kg chacun. Le strict nécessaire à un détail près. J’avais avec moi un appareil photo et un jeu d’objectifs, Arnaud un carnet de croquis.
Tous les deux architectes et ingénieurs, nous avons dessiné notre itinéraire de manière à découvrir une grande variété de biotopes et de cultures constructives. Tout au long de ce chemin, nous avons pris le temps d’observer et d’analyser les paysages. Au jour le jour, nous avons partagé nos photos et dessins sur notre site et nos pages Facebook et Instagram.
Premiers pas en Turquie
La Turquie est le 11e pays sur notre chemin, c’est donc notre 11e passage de frontière . Nous pensions être des habitués, mais nous n’avions pas encore tout vu !
Le douanier bulgare nous laisse passer sans dire un mot, mais arrivés devant le poste turc on nous arrête. « Vous ne pouvez pas aller plus loin à pied », « pardon, nous sommes venus de France à pied » répondons-nous à l’unisson. Le douanier est intraitable, “il est interdit de passer la frontière à pied” nous répète-t-il inlassablement. Il faut que nous montions dans un véhicule, plus facile à dire qu’à faire ! Nous voilà en train de faire du stop devant la frontière, mi-amusés mi-stressés par cette situation ubuesque. Qui est-ce qui prend deux vagabonds dans sa voiture pour passer une frontière ? Après quelques tentatives infructueuses, nous réussissons à convaincre un douanier de nous aider. Il nous fait monter dans un bus duquel nous redescendons 100m plus loin, en Turquie.
Quelques kilomètres plus loin, c’est un tout autre accueil qui nous attend. Margot, une petite cousine d’Arnaud est venue nous rejoindre et va marcher une semaine avec nous. Elle est en Erasmus à Istanbul depuis septembre. Grâce à elle, nous sommes directement plongés dans la culture turque. Tout en marchant, elle nous apprend quelques mots et nous partage ses connaissances sur ce pays.
Edirne
Edirne fut la deuxième capitale de l’Empire Ottoman, elle le restera jusqu’en 1453, lorsque Mehmet le conquérant s’empare d’Istanbul. La ville se situe alors sur l’axe reliant les territoires balkaniques à la nouvelle capitale. Elle devient un lieu de villégiature des sultans et un important centre religieux. En 1574, l’architecte Sinan y inaugure la mosquée Selimiye. Avec son dôme de 31 m de diamètre, c’est la première mosquée ottomane à dépasser les dimensions de la basilique Sainte-Sophie à Istanbul. Un véritable défi pour cet empire qui, après avoir provoqué la chute de l’Empire bizantin, a transformé Sainte Sophie en mosquée.
La plaine de Basse-Thrace
Nous quittons Edirne cap vers la mer Noire. Le soleil brille et le vent souffle. Nous marchons parmi de grands champs de céréales entrecoupés de bosquets où les troupeaux de brebis broutent, surveillés par de gros chiens de berger.
Le paysage est vallonné, les villages s’implantent dans le creux, là où l’eau et les arbres apportent un peu de fraîcheur. Même le plus petit hameau a son café. Les hommes y passent leurs journées, attablés en terrasse avec un “chai”. Nous y sommes accueillis comme nulle part ailleurs. Dès que nous passons devant l’une d’entre elles, l’un des clients nous alpague et nous invite à prendre un thé. À peine nos tasses finies une seconde tournée arrive, parfois accompagnée d’une barre de céréales ou un paquet de gâteaux. C’est à croire qu’ils savent que l’on a mâché 10 mois pour arriver ici!
La mer noire
Nous arrivons sur les bords de la mer Noire à Kiyiköy, un petit village de pêcheurs. Nous marchons sur la plage, la mer à notre gauche et de hautes falaises calcaires à notre droite. Au-dessus de nous, dans le ciel, des cigognes tournoient dans les airs. Elles empruntent les courants chauds pour s’élever, puis planent, remontant doucement vers le nord. De temps en temps, l’une d’entre elles vole plus bas que les autres et passe juste au-dessus de la cime des arbres. On réalise alors l’envergure de leurs ailes et le spectacle prend une nouvelle dimension.
Il y a quelque chose de poétique à finir ce voyage en compagnie d’oiseaux migrateurs. Cet hiver en Hongrie puis en Serbie nous avons vu leurs nids inhabités. Dans quelques semaines, tout comme nous, elles seront de retour dans cette maison qu’elles ont laissée.
Enfin, Istanbul !
Nous sommes au pied du tout nouvel aéroport international d’Istanbul. Les cigognes se mêlent maintenant aux avions. Nous quittons les bords de mer Noire et pénétrons dans l’agglomération d’Istanbul.
Une large partie de la banlieue stambouliote se compose de «gecekondu», ce qui signifie « construit en une nuit ». Ces quartiers sont apparus à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il était à l’époque interdit de déloger une personne ayant un toit sur la tête. L’exode rural massif transforme alors les banlieues d’Istanbul en un conglomérat de villages bâtis en une nuit. Cet exode s’est effectué par village. Solidaires, les habitants se regroupaient, construisaient le toit d’une famille la première nuit, puis d’une autre la nuit suivante, et ainsi de suite. Très souvent les quartiers empruntent leur nom à la localité d’origine des exilés. En 1980, 50% des stambouliotes vivaient dans des “gecekondu”, ce qui représentait 1,5 million de personnes. Au fil des années, ceux-ci se sont appropriés les lieux. Des parpaings ont remplacé les tôles, des portails sont apparus, mais certaines habitudes rurales demeurent toujours. Dans les rues, les charrettes à cheval et automobiles se partagent la voie, et sur les trottoirs des poules picorent autour des poubelles. Les terrains vagues qui séparent ces villages urbains servent tantôt de potager collectif, tantôt de prairie pour les vaches et brebis.
L’aire urbaine d’Istanbul compte 20 millions d’habitants et occupe un territoire de plus de 5 000 km². La traversée nous prendra trois jours, trois jours au terme desquels nous arrivons enfin au pied de Sainte-Sophie. Il est difficile de décrire les émotions qui nous parcourent à ce moment précis. L’excitation et le soulagement se mêlent en nous, les larmes et les rires se succèdent. Seuls nos sourires demeurent accrochés à nos visages jusqu’à ce que, le soir venu, nos paupières se ferment sur ces dix mois de marche.
Nous sommes partis en juin dernier pour un voyage d’un an, à pied et en bivouac, de Dijon à Istanbul.
4500 km de marche qui vont nous amener à la découverte de 10 pays !
Carnet de croquis à la main pour Arnaud, et œil dans le viseur de l’appareil photo pour Marie, nous vous racontons ce périple avec notre regard d’architectes.