Dans les Pyrénées, le Canigou est une montagne magique pour les Catalans. Après en avoir fait le tour pendant 6 jours avec le voyagiste à pied Randonades, l’avoir admiré sous toutes les coutures et finalement gravi son pic, pour moi aussi ! Ses paysages, avec ses torrents, pâturages et forêts, tout autant que l’ingéniosité des hommes qui vivent sur ses flancs, tout m’éblouit.
Faire le tour du Canigou -les Catalans écrivent Canigó- représente une belle équipée. Au propre comme au figuré. Vraiment somptueux, avec des paysages exceptionnels, le massif est en effet classé « Grand site de France ». Et il faut savoir qu’un tour complet s’avère tout bonnement impossible à pied, car la partie au sud-est du massif est trop sauvage. Les autres versants, essentiellement les côtés nord et ouest que j’ai donc parcourus, ne constituent pas une promenade de santé pour autant. Les sentiers sont parfois à peine tracés, les buissons de genêts griffent les mollets plus souvent qu’à leur tour. Durant ce trek autour du Canigou, organisé par l’agence pyrénéenne Randonades, notre petit groupe n’a, la plupart du temps, rencontré personne d’autre en chemin. Mais alors, personne ! Étonnant, non ? Justement, voilà ce qui fait aussi le charme de ce tour du Canigou : un petit parfum d’aventure pour pimenter les choses. Avec en prime l’air d’en haut, l’air des grands espaces.
J1 : Vernet-les-Bains – Mantet
+ 620 m / – 30 m 13,3 kmDepuis Vernet-les-Bain, le vrai départ de ce trek autour du Canigou se trouve au sortir du village d’Escaro que notre petit groupe rejoint en véhicule. Un village qui, hier encore, ne vivait que par les mines de fer. La dernière n’a fermé qu’en 1994, et les premières datent de l’ère romaine, c’est dire. Très décoratif, un petit wagonnet rempli de minerai vient rappeler ce passé au visiteur devant les premières maisons. D’ailleurs, le massif du Canigou tout entier est un véritable gruyère tant il y avait de mines, explique en riant notre accompagnateur Guilhelm.
Le fil conducteur de cette première journée de rando est un canal d’irrigation, qui nous conduit vers la vallée de Nyer. De ces canaux, il y en a tant et plus dans la montagne pour amener la précieuse eau des ruisseaux jusque dans les champs. Parfois de très loin, souvent grâce à un remarquable et ancestral savoir-faire, transmis de génération en génération. Et de beaucoup de travail, hier comme aujourd’hui. Celui-ci tout particulièrement : je m’en rends compte au fur et à mesure de notre progression. Qui est tantôt très facile, tantôt plutôt sportive. En tout cas, là, c’est un mur de soutènement en pierre sèche, haut de plus de dix mètres. Plus loin, une astucieuse utilisation de la falaise pour rester sur la bonne courbe de niveau. Chapeau !
En chemin, on tombe aussi l’une ou l’autre fois sur une cabane de raguet, en pierre évidemment. Le raguet ? c’est -au siècle dernier encore- le préposé au bon fonctionnement du canal d’irrigation, à son entretien. Dans sa dernière partie, le -pardon, notre- canal d’irrigation, a été recouvert et mécanisé pour remédier aux incessants éboulements qui le mettaient à mal. En surface, il est ainsi devenu un large chemin. D’y marcher tranquillement me paraît assez surréaliste, en contemplant la vallée en contrebas qui, elle, est une jungle franchement inaccessible ! Voici quelques décennies, on a bien tenté d’y percer une route. Mais le chantier a vite été abandonné : mission impossible dans un tel environnement. Au bout d’un moment, nous arrivons au départ du canal et tout devient plus… sauvage. Y compris le sentier, avec même des passages acrobatiques. Puis surgissent quelques rochers arrondis au bord du torrent, un petit bassin. Trop tentant ! Quand d’aucuns s’y plongent entièrement -respect- je me contente pour ma part d’y rafraîchir les pieds. Le but de cette première journée autour du Canigou, le village de Mantet, n’est plus très loin. Je le découvre en débouchant sur une large et magnifique vallée, tout à fait inattendue.
J2 : Autour de Mantet dans la réserve naturelle de Mantet
+ 883 m / – 883 m 14,4 kmTout comme hier, cette 2eme journée autour du Canigou débute aussi par un symbole historique. En l’occurrence, un imposant marteau de forge -un martinet donc- fixé sur un bloc rocheux dans les prés, en contrebas des maisons. Il affiche une date : 1774. Mantet, comme la plupart des villages, disposait en effet d’une forge mue par l’eau de son torrent.
Tout cela semble bien loin. Mais d’autres traces d’un passé laborieux apparaissent. Ce matin, le sentier qui s’enfonce dans la réserve naturelle de Mantet -une vraie merveille d’une 30aine de km² s’étageant jusqu’à 2 700 m- est en effet dallé. Un travail qui ne date pas d’hier, pour éviter le ravinement. Le chemin grimpe en lacets entre les anciennes terrasses cultivées, aujourd’hui visiblement délaissées mais toujours délimitées par des murs de pierre sèche. Puis des sous-bois alternent avec les pâturages, tandis que le mont Canigou réapparaît dans notre champ de vision. Sa présence a quelque chose de rassurant. Comme un vieil ami. Régulièrement, nous tombons sur d’anciennes constructions de pierre, des orris, que les bergers construisaient en altitude.
Après le pique-nique, dans un endroit judicieusement choisi pour sa vue sur les montagnes, on laisse les sacs. Tant mieux, car à partir de là c’est du hors-piste ! Il y avait bien un sentier, mais c’était sans doute il y a très longtemps… Et donc, on raye la carrosserie de temps en temps dans les buissons de genêts. Ceux-là ont aussi la fâcheuse manie de me dissimuler les trous et autres pièges à cheville, mais tout se passe bien. Parvenus vers le collet del Monjo, un aigle royal, sans doute encore jeune avec ses tâches blanches, passe très près au-dessus de nos têtes. Ça, et le panorama, ça vaut bien quelques désagréments.
J3 : Autour de Mantet dans la vallée de l’Alemany
+ 966 m / – 966 m 14,6 kmAujourd’hui, direction la frontière espagnole sur le GR 10 pour entamer un large tour dans la vallée de l’Alemany. Un joli sentier, un parcours bucolique au possible avec pâturages et troupeaux de vaches, de temps en temps un sous-bois ou un ruisseau à franchir. Cette vallée est franchement grandiose. Et puis, son calme et sa sérénité déteignent sur moi, on se sent bien ici. Parvenu au lieu-dit l’Alemany, à 1 958 m, les choses se corsent un peu : c’est une montée, de plus en plus rude qui nous attend jusqu’à la crête frontière. Mais quelle vue de là-haut ! En face, le Gra de Fajol, le « grain de seigle », avec à sa droite le pic de la Dona et, trônant au centre, le pic du Géant, 2 880 m. Il n’y a que la station de ski côté espagnol, Vallter 2 000, qui détonne un peu dans le tableau, mais elle n’est pas bien grande. En tout cas, facilement accessible, elle draine pas mal de randonneurs sur l’autre versant.
Nous, nous ne franchirons pas la frontière pour rester sur la ligne de crête, traverser les estives. Avec en ligne de mire, comme de juste, notre vieil ami le Canigou. Ainsi, ce sont d’abord de grandes étendues à la végétation desséchée par le soleil. Les épis blonds, presque blancs, ondoient sous la brise. Un bel oiseau, une huppe, s’envole quasiment sous mes pieds. Puis, c’est la descente franche, entre les arbres. Dans les trouées, foisonnent les framboises. Elles sont petites, délicieuses. Ni une, ni deux, les troupes s’égaillent de part et d’autre. Et personne ne se plaint des ronces… La descente continue ainsi de manière très agréable. Et l’on retrouve la rivière. Cette fois encore, elle est si fraîche, l’air si chaud que l’on ne résiste pas à son appel. Et des courageux s’y baignent franchement. L’eau doit être bien vivifiante !
J4 : Mantet – refuge de Mariailles
+ 1140 m / – 979 m 21,2 kmUn dernier coup d’œil à ce joli village de Mantet et hop, direction les hauteurs. En un rien de temps, une heure peut-être, nous voici sur les estives, au Pla Segala, à 2 254 m. Sur ces hauts plateaux, la vue porte loin, la progression est facile. Tout d’un coup, j’aperçois deux, trois, puis quatre vautours fauves. De très près. En fait, ce sont deux couples qui ont probablement passé la nuit ici, dans cet éboulis rocheux. Maintenant, ils cherchent à profiter des premiers rayons de soleil pour prendre leur envol dans les courants ascendants. Il leur faut plusieurs tentatives avant d’y parvenir. La scène est prenante, avec l’impression de se trouver dans un documentaire animalier.
Plus loin, après la cime de Pomarole et le Mort de l’Escolà, à 2 421 m, les paysages se font grandioses, du côté des Esquerdes de Rotja. Ce sont d’incroyables aiguilles rocheuses surplombant des vallées qui se perdent dans l’horizon. Nous sommes sur la ligne de partage des eaux, avec d’un côté la vallée du Conflent et de l’autre celle du Tec. Et tantôt un pied dans la réserve naturelle de Py et tantôt dans celle de Prats-de-Mollo, côté espagnol. Dans le ciel plane une grande silhouette : un gypaète barbu, le plus grand des vautours et des oiseaux européens : son envergure atteint les 3 m.
Notre route se poursuit sur un sentier en balcon. Il nous réserve une bonne surprise : des buissons de myrtilliers, les fruits sont mûrs à souhait. Peu après, au pic-nic, j’ai l’occasion d’admirer le premier sommet gravi ce matin, au début de notre trajet en forme de fer à cheval. De l’autre côté, en ligne de mire comme souvent, notre ami le Canigou.
C’est une succession de tableaux très divers qui nous attend dans l’après-midi. Ce haut-plateau qu’est le Pla Guillem est charmant, tout comme la descente vers la vallée. L’après-midi se conclut sur une descente autrement plus raide et impressionnante qui tombe sur le chemin forestier menant au refuge Mariailles.
J5 : Refuge de Mariailles – refuge des Cortalets avec ascension du Canigou
+ 1225 m / – 769 m 14,6 kmC’est le grand jour. Pardi, l’ascension du mont Canigou ! De celle-ci, il en est quand même beaucoup question depuis hier soir. Au refuge de Mariailles, pendant le dîner, le gardien a fait un topo de présentation. La très grande majorité de ses ouailles, peut-être toutes, a cette montée à son programme. Et tout le monde n’a pas la chance, comme nous, de bénéficier d’un accompagnateur expérimenté qui nous en a déjà largement parlé. D’ailleurs, j’avoue être un tantinet nerveux quand même. Mais ce ne sera qu’en milieu de journée.
En attendant, contrairement aux autres, nous ne nous précipitons pas vers la montagne sacrée. Certes, on se mêle d’abord au flot de randonneurs, seulement jusqu’à la cabane Arago, à 2 123 m, avant le plateau. A partir de là, on file hors-piste. Direction de beaux lacs, perdus en pleine nature. En chemin, c’est d’abord une nichée de perdrix qui s’envole juste devant nous. Puis, apparaissent un isard -la version pyrénéenne du chamois-, une femelle, avec son petit. Jolie scène. Ils restent à bonne distance, mais ne s’enfuient pas. Le chevreau se montre plutôt curieux. Quelques minutes plus tard, pendant que nous admirons le lac, surgit encore un autre isard. Quelle chance !
Avant la fameuse montée, il faut prendre des forces. Le pique-nique, pris sur une étroite ligne de crête dominant deux vallées, nous en met aussi plein la vue. Fantastique, franchement. Les choses sérieuses commencent tout de suite après. D’abord, des pierriers qui nous mettent dans l’ambiance. Puis, ça grimpe. De plus en plus raide, jusqu’à la fameuse « cheminée » : un mur de presque 70 m de haut. Ce n’est pas de l’escalade, non. Mais, surtout vers le haut, ça y ressemble quand même… De temps en temps, je me retourne, c’est bien raide. Vaut mieux monter que descendre, me dis-je, en admirant ceux qui le font. Chacun cherche son itinéraire au petit bonheur la chance. Et ça se passe bien pour tout le monde, évidemment. Parvenu au sommet à 2 784 m, devant la croix plantée dans le rocher, photo souvenir. Et fierté de se trouver là. La descente est sympa. Longue. Voilà qui permet encore de se remplir les yeux de ces immensités sereines. De fait, c’était une sacrée et mémorable journée !
J6 : Refuge des Cortalets – Vernet-les-Bains
+ 391 m / – 1858 m 19,2 kmDevant le grand et beau refuge des Cortalets, ma journée commence en admirant le lever du soleil sur la plaine et, tout là-bas, la mer. Je ne suis pas le seul, loin de là, à m’être tiré du lit plus tôt pour ce spectacle. Il en vaut la peine ! Puis, avant d’entamer la descente, une dernière incursion dans le massif du Canigou. Elle nous mène jusqu’au dernier vestige du glacier du Canigou. En l’occurrence, un étang où se mire le pic, dans une cuvette pierreuse. Il se trouve juste en-dessous de la brèche Durier, une brèche dans le mur de pierre qui mène au pied de la « cheminée » du Canigou. Hier je suis passé devant, avant d’entamer l’ascension, et je me demandais à quoi ça ressemble en-dessous. Maintenant, je sais. Retour au refuge des Cortalets pour récupérer nos sacs, notamment à travers les magnifiques pins à crochets -certains centenaires- qui l’entourent.
Commence alors la longue descente à travers les collines du Conflent vers la plaine. Pas mal de chemins forestiers, une ancienne et charmante route abandonnée avec ses murets de pierre, un tout petit tunnel percé dans la roche. On coupe à travers la forêt de pins. Au fur et à mesure, avec la chaleur monte aussi une agréable et entêtante odeur de pin. Le retour à la civilisation se fait par tranches successives. Tant mieux.
Avec qui faire le Tour du Canigou ?
Ce reportage a été réalisé dans le cadre du trek Tour du Canigou, un circuit accompagné de niveau 4 au départ de Villefranche-sur-Conflent, d’une durée de 7 jours/6 nuits. Il est proposé par Randonades, une agence indépendante et artisanale. Basée à Prades (66), non loin du mont Canigó, cette agence pas comme les autres est spécialiste des séjours de rando avec ou sans guide dans toutes les Pyrénées et rien que dans les Pyrénées. Elle a été fondée par quatre accompagnateurs pyrénéens qui conçoivent, et encadrent, tous les circuits proposés.
Bonnes adresses
A Villefranche-de-Conflent, lieu de RDV avant le départ du tour du Canigou, l’auberge du Mas du Cèdre est une sympathique escale. Cette ancienne maison de maître, qui a certes connu des jours bien meilleurs, est au calme et propose des chambres spacieuses. Le propriétaire des lieux connaît la région, et ses sentiers, comme sa poche.
Journaliste professionnel venant de la presse régionale, j’ai toujours aimé bouger. Au fil de mes pérégrinations, j’ai découvert le voyage à pied et à vélo, que j’apprécie énormément l’un comme l’autre. Et plus j’en fais, plus j’en redemande !
Belle description de cet itinéraire qui donne envie de se lancer dans la course.
Qu’entendez vous par niveau 4 dans la description ?
Y a T il une période favorable pour cette longue marche ? Son coût ?
Merci d’avance
Bien amicalement
Paul, tous les renseignements sont sur le site de Randonades (le lien est fourni dans le reportage).
En fait, Randonades classe ce trek en niveau 3, c’est-à-dire de difficulté moyenne, accessible à la majorité des randonneurs. Ceci dit, les journées peuvent être longues, avec parfois un peu de hors piste.
Les périodes les plus favorables sont l’avant et l’après-saison, lorsqu’il ne fait pas trop chaud. Quant au prix, il est tout simplement canon! Randonades est connue pour pratiquer l’un des meilleurs rapports qualité-prix.