J’ai imaginé cette traversée comme une ballade, une trace, une ligne qui parcours le Vercors. Je rêve d’une progression en musique, marchant sur un fil en équilibre. Ce fil, c’est ma trace.
Cette douce mélodie murmure dans mes oreilles comme une clameur irrésistible…C’est un appel de géant qui n’est barré par aucuns obstacles…Glissade, trébuchement, rien n’y fait, l’objectif s’érige tel une forteresse.
Parcourir cette citadelle aux contours découpés, vivre sur cet improbable navire qu’est le Vercors, devient raison d’avancer.
Rêve de tous les jours…appel profond, puissant, comme un ressac….Une vaque qui clapote à l’infinie dans mes oreilles…
Vision d’en haut, survol des cimes et des larges prairies, je plane au dessus des pas, j’enjambe le canyon des Erges.
Faire sa trace du sud au nord du massif. Trace éphémère… A la découverte de l’univers unique du Vercors. Progression au rythme de la nature entres combes, plaines, forêts de pins à crochets, de sapins…
ETAPE 1 : Combeau – Chaumailloux
07 heures : Réveil. Préparation des affaires. La pulka est fin prête depuis une semaine. Avec Sophie, nous avons finalisé hier soir, tout ce qui concerne les vivres…1 kg de nourriture par jour, soit 4000 calories ! Dernier petit déjeuner avec Sophie.
Jean Paul dit « Le Viok » vient me chercher à 8 heures. Grâce à sa bonne humeur, le départ est facilité, le matériel est vite descendu, les « adieux » avec Sophie sont moins difficiles ! Je la sens confiante et c’est tant mieux. Le timing est parfait. Départ de Grenoble à 8 h 30 pour une première dépose (de la Peugeot 106) à Corrençon…Trente secondes sur le parking des hauts plateaux me permettent de me rendre compte qu’il fait froid ! Et dire que je vais passer trois nuits sous la tente à 1600 mètres d’altitude. Echanges de mots avec le Viok sur la température.
Le temps est magnifique et stable. Une légère bise souffle, chassant les derniers nuages.
Ce matin, mon objectif est d’entamer le raid aux alentours de onze heures afin de jouir un maximum de cette première journée. De Corrençon, nous nous engageons en direction de la Drôme en passant par les gorges de la Bourne, St Agnan en Vercors et le fameux col du Rousset, barrière climatique entre le nord et le début de la Provence !
La vue est remarquable et plongeante sur le Diois.
Passage à Die, arrêt chocolat chaud dans un petit bistrot de Châtillon en Diois.
Nous changeons d’univers.
La vue de ces magnifiques paysages a été agrémentée par de longues discussions et de nombreux éclats de rires lors du trajet. Nous voilà débarqués sur le parking de l’auberge du Vallon de Combeau, point de départ de la traversée du Vercors 2006 ! La place ne manque pas dans la ZX break du Viok….J’ai entassé tout le matériel utile à la progression des prochains jours.
Zoom sur le matériel utilisé : Ski de randonnée nordique Snowbound Crown, Fixation voile Heavy Duty Montaineer, Peau de phoque 50 mm Pomoca, Chaussures Scarpa T4, Pulka Fjellpulken 185 litres avec bras rigide (Voir la liste complète du matériel)
Le ski de randonnée nordique est le matériel idéal pour la progression en terrain vallonné…le must pour cette traversée du Vercors 2006. Le Viok prépare son matériel pour m’accompagner un bout de trajet. Pour ma part, je commence à prendre mes automatismes : rangement rigoureux de la pulka, vérification que rien ne manque…La coupure dans ma tête est faite, lorsque j’entame un raid, je suis dans un état concentré…un état actif.
Gestes réfléchis et utiles sans protocole inutile. Mon psychique devrait s’organiser de la même façon ! Aller à l’essentiel et ne pas se perdre au détour d’une pensée…Nos premiers pas s’effectuent face au vent du nord. Le temps est clair et la neige porte très bien.
Quelques doutes parcourent mon esprit.
Face à nous se dressent les pentes de la tête de Praorzel. Je m’imagine découvrir ce remarquable parcours en crête.
Après une heure d’effort, de prises de photos…(merci le Viok pour tes talents de photographe ! Il a couru dans tout les sens ! Mais d’habitude c’est moi le chien fou…), nous parvenons à la cabane de l’Essaure, véritable point de départ du raid.
Casse croûte au soleil, dernières élocutions du Viok…
Je me sens libre et prêt. Lors de cette montée jusqu’à la cabane, j’ai beaucoup cogité mais à présent je me sens apaisé.
Un groupe de chamois gambade sous le sommet de la Montagnette. C’est de bon augure !
13 h 20, Départ de la Traversée du Vercors 2006. Salutations au Viok (A cet instant on se demande mutuellement et intérieurement : pourquoi on ne fait pas la traversée ensemble ?)…Je commence ma progression par une légère ascension en direction du col du Creuson , tandis que le Viok retourne sur ses pas (sans skis et sans raquettes, heureusement que la neige porte…enfin un peu !). Gestes de la main.
De nombreuses traces sont visibles au départ du pas de l’Essaure en direction de la tête Chevalière.
C’est avec appréhension, que j’entame la montée, sans vraiment savoir comment va se comporter la pulka sachant qu’elle contient 35 kg de matériel.
Physiquement je sens que j’ai « une caisse d’enfer » et que je suis « au taqué »…grâce à mon entraînement physique ! J’avale les premières montées sans réelles difficultés…Mentalement je suis « béton ».
J’ai réalisé ces huit dernières semaines un entraînement spécifique de manière intensive. Dernier plan d’entraînement fournit par les deux Bernard du club de course à pied « CMI Tullins » ! Musculation, sorties longues et repos. Je me sens en pleine forme malgré mon rhume et ma côte que j’ai fêlé un mois auparavant ! Premier passage en dévers, j’enclenche mes cales de montée et je tracte la pulka tout en vérifiant la trajectoire. C’est un passage que je connais bien, régulièrement lorsqu’on passe à cet endroit à ski avec Sophie, je vérifie qu’elle ne glisse pas. Ce n’est pas risqué, mais ce n’est jamais agréable de se retrouver cinq mètres plus bas.
Je continue ma progression, lorsque brusquement je me sens attiré dans la pente ! Les trente cinq kilogrammes de la pulka m’attirent vers le bas. Blocage des bâtons dans cette neige croûtée tout en retenant la charge. Les muscles sont tendus au maximum. J’essaye de m’extirper de cette situation en reculant, puis en faisant une conversion. Je stabilise la situation et décampe sans réfléchir pour trouver un autre passage. Je trouve une autre passe plus raide mais moins en dévers. Je dois forcer pour tracter la pulka dans cet entonnoir, je monte parallèlement à la pente pour gravir au sommet de cette difficulté. J’avais évalué correctement les difficultés de cette première étape et maintenant je glisse aisément vers le Col du Creuson. Face au col premier, questionnement : gauche ou droite ? J’ai le choix de l’itinéraire entre un long dévers (80 – 100 m) à droite ou de passer à gauche sous des pentes pas très engageantes ! (Je fais référence aux avalanches qui sévissent actuellement dans les Alpes). La cotation avalanche dans le Vercors est de 2 aujourd’hui. Il est inhabituel de parler d’avalanche dans le Vercors sauf sur les pentes orientales et très inclinées, mais il s’avère que certaines se sont déroulées dans des lieux plus anodins.
On peut lire sur certains forums Internet des randonneurs évoquant des coulées ci et là… Je préfère le long dévers qui cette fois-ci est tracé. La pente paraît bien stabilisée. Je m’engage sans effort dans cette traversée. Je débouche au Col.
Pose photos. La vue est panoramique ! Derrière moi, l’Obiou et le Grand Ferrand, à ma gauche le plateau dénudé du sud Vercors. Des cairns sont érigés sur les hauteurs…quelques pins à crochets résistent aux variations du climat.
Heureux.
Les cairns plantés sur les collines se dressent en direction du ciel.
Je rêve régulièrement de ces cairns qui peuvent atteindre deux mètres. De loin, on imagine des hommes qui surveillent, observent le marcheur s’aventurant sur ces hautes terres. Silence, rien ne bouge…ils donnent une direction ? délimitent un terrain ? A chaque sorties ils m’accompagnent et j’ai la sensation d’être observé, détaillé. Je reste humble face à cette nature, ce Vercors me touche. Je le remercie de m’accueillir, de m’admettre…Respect.
Des groupes de randonneurs en raquettes s’attardent sur les pentes qui mènent à la Tête Chevalière…Quelques-uns dormiront sans doute dans les refuges avoisinants.
Je m’approche de la bergerie de Chamousset. Le soleil est au plus haut, la bise a diminué. Quelques instants après, j’aperçois le Mont Aiguille, symbole du Trièves. C’est pour moi, le moment des descentes techniques. Cette année, j’ai acheté mon matériel et j’ai opté pour le système d’attaches rigides pour la pulka. Je ne souhaite pas réitérer les erreurs de la traversée du Jura 2004. Première descente en dévers….Quelques traces partent dans tous les sens, je me fie à mon instinct et choisi celle situé à l’est…impossible de passer, je tire à droite pour me retrouver dans de l’agréable poudreuse. Je vais vite…je trace sur cette neige immaculée.
Zigzag entre les pins à crochets. Je discerne des traces de renards et écureuils…. Je plonge en direction des Chaumailloux, mais c’est précisément le problème. Les pentes se relèvent…je ne suis plus dans la bonne direction, il faut remonter….Les pentes ne sont pas très encourageantes….Je force pour remonter, puis une petite descente. Un grand bruit, je suis immobilisé net, le corps en avant. Les bras de la pulka sont croisés, mon traîneau de 35 kg est sur le ventre ! C’est la première fois que cela se produit…Le raid est-il fini ? Est- ce que les bouteilles d’essence C se sont renversées au fond de la pulka ? Y a t’il de la casse ? J’ôte le harnais, et retourne le traîneau. Sans examiner l’état intérieur de mon embarcation, je continue ma navigation. Le terrain me chahute. C’est la seconde secousse de la journée…Je m’interroge concernant les futurs passages techniques du raid. Je reste confiant…nous sommes le milieu d’après midi et le but est proche. Je n’ai rien ingurgité depuis le départ du Viok. Cette progression me coupe la faim.
Se servir du terrain pour progresser, c’est l’enseignement que je tire de cette journée. Les Chaumailloux sont à vues ! Une bonne descente m’attend. Je fais de larges courbes avec mes skis, je file à flanc et profite de la poudreuse pour atteindre sans effort le refuge.
A l’approche des abris, j’ai pris l’habitude de faire un arrêt afin de me ravitailler…barres de céréales, et quelques gorgées de thé brûlant.
L’étape du jour est terminée…je me repose un peu et décide après quelques bavardages avec des marcheurs, d’aller installer mon bivouac hivernal.
J’avais lors de mon précédent passage en janvier repéré un fameux spot face au Mont inaccessible ! Le mont Aiguille.
Il se situe en direction des rochers du Parquet, sur une falaise au dessus du pas de l’Aiguille.
Les habitudes reviennent vite…délimiter, creuser, déplacer des mètres cubes de neige pour parfaire son emplacement, tasser, monter la tente…arrimer la tente aux poids morts. Après plus d’une heure d’effort, je peux enfin me glisser dans mon duvet…Quelques longues heures en perspectives….
Ranger, faire chauffer de l’eau, manger, réchauffer, installer sont des actions qui vont se répéter.
Environ 17 heures, le célèbre renard des Chaumailloux tente une incursion dans mon bivouac. Je l’aperçois quelques instants…Après s’être fixé quelques secondes, il prend rapidement la direction du refuge…Lieu sans doute plus attirant !
J’apprécie le face à face. Je l’ai reconnu, est-ce réciproque ?
-7°C cette nuit…Longue nuit.
07 heures du matin, il fait beau. Ciel bleu.
Lever, chauffer, déjeuner, ranger.
9 h 45 départ pour la seconde journée, direction le Nord.
ETAPE 2 : Chaumailloux – Pré Peyret
Les skis aux pieds, je glisse sous le soleil matinal en direction de Pré Peyret.
J’avais émis l’idée de faire le tour du sommet de Tourte Barreaux en passant par Peyre Rouge…mais le parcours par le col du Pison me paraît plus court. La plaine aux alentours de la Bergerie de Jasneuf est magnifique. En Est, le sommet du Mont Aiguille apparaît encore. En ouest la large silhouette du Glandasse me fait face. J’ai encore tant de lieu à découvrir et à faire découvrir à Sophie.
D’abondantes traces, de raquettes et de ski sont présentes au sol. Je continue ma route sans difficultés jusqu’au col du Pison, progression en direction du Grand Veymont que je vise au loin. L’étape sera courte aujourd’hui. Depuis ce matin, je suis étonné que les orteils de mon pied droit ont des difficultés à se réchauffer. Problème de circulation, chaussure trop serrée ? Arrivé non loin de la cabane de Pré Peyret, je monte sur le petit sommet au-dessus de l’abri. Nous sommes aux alentours de midi…les parages sont infestés de randonneurs !
Courte glissade jusqu’au refuge. J’entre un instant afin de frictionner mes pieds. Rien à faire. Pourtant le soleil brille, il ne fait pas très froid. Je décide de manger au soleil, puis, quelques minutes après je m’installe à Pré Peyret dans mon duvet afin de me réchauffer. Je n’ai pas beaucoup mangé et bu depuis le début du raid. Après une heure de repos, je récupère la sensibilité de mes orteils…Ce matin lorsque j’ai enfilé mes chaussures elles étaient humides. Pourtant elles étaient confortablement installées dans mon duvet ! Longue attente. Fatigue. Je ne souhaite plus bouger. Je me réchauffe au soleil et réfléchis. Je dois manger davantage ! Aux alentours de 15 heures, je grimpe sur mon sommet coté 1655m .Vue imprenable sur le pas de Chabrinel, célèbre pas de transhumance…
Coup de fil à Sophie. Et oui le portable capte dans le Vercors. Est-ce l’amélioration des services des opérateurs téléphoniques ? Ceci étant dit, il est très plaisant de pouvoir téléphoner même lors d’une traversée en solitaire. Coté rassurant…et cela permet d’avoir des nouvelles des êtres chers ! Nous sommes le milieu de l’après midi et je dois planter la tente. Je tergiverse sur le choix de l’emplacement. Ce soir un couple de Montpellier a déjà installé leur tente non loin de la cabane. Nous avons fais connaissance tout à l’heure, et nous aurons l’occasion d’échanger dans la soirée…car ce soir c’est confort…dîner à 0°C dans l’abri ! Enfin je me ravitaille correctement…et reprends des forces ! Je pense que le froid et l’activité physique ont coupé mes envies de nourriture. Le vent du nord souffle, le ciel est voilé. J’ai bien choisi mon emplacement ! Dos au vent du nord.
Demain, il fera beau. 4 heures du matin, le vent a cessé. Je suis réveillé par le froid qui glace mon visage. Seulement – 5°C sous tente. Ce lundi, j’ai une étape un peu plus longue. J’ai fais le choix d’étapes courtes afin de rester dans le massif…de vivre au rythme de la nature…et aussi d’enchaîner les jours seuls. J’ai le sentiment qu’il faut un certain temps pour s’acclimater.
ETAPE 3 : Pré Peyret – Jasse du Play
Pliage de la tente.
Hier soir, j’ai préparé toute mon eau chaude ! J’ai à ma disposition deux thermos d’un litre et un platypus d’un litre également.
J’apprends beaucoup lors de ce raid. J’utilise donc qu’une fois mon réchaud pour faire fondre de la neige. Avec ces trois récipients, je tiens la journée…et je m’en sers aussi pour cuisiner ! Enfin, faire chauffer des lyophilisés !
C’est une corvée de faire fondre de la neige. Je laisse toujours une abside ouverte ce qui fait rentrer le froid. Les gouttes de vapeur s’entassent sur la toile de tente. Je considère qu’il faut plus d’une heure pour avoir ce merveilleux liquide qu’est l’eau !
Ce matin, j’ai du mal à ingérer mon déjeuner. Je me suis levé tôt. J’attends au soleil. Je cherche les rayons de soleil pour me réchauffer.
Direction nord pour la Jasse du Play en passant par la Grande Cabane, et la plaine de la Chau. Le Grand Veymont, les différents pas de la face Ouest vont me tenir compagnie lors de ma progression. Je longe cette barrière occidentale. Le soleil brûle mon front. Je garde le bonnet malgré la chaleur. Je ne met pas de crème contre le soleil et c’est une erreur. A l’avenir, lors de traversée plus longue j’ai intérêt de mieux protéger mes yeux et ma peau.
Pas de difficulté technique aujourd’hui. Ca glisse, je suis en forme…je sens que la traversée ira à son terme.
J’ai pris mon rythme.
Encore personne aujourd’hui sur le tracé. Je ne vois que des humains aux abords des refuges. Lorsqu’on effectue un effort prolongé de manière solitaire, c’est intéressant car cela apprend à mieux se connaître. Néanmoins, lorsque l’on est seul, l’individu est trop centré sur son ressenti. C’est par ailleurs le même effet en course à pied. A plusieurs, on ne prend pas le temps de s’écouter, d’accueillir les sensations de son corps.
La solitude devient une recherche. Sa vérité, son face à face…J’ai des images qui me traversent l’esprit, des paroles aussi. Jusqu’au bout, ne rien lâcher, engagement, dépassement. Images de courses de montagne, ou tu vas chercher à l’intérieur…ton chez toi. Seul c’est une manière de s’exprimer. C’est créer et se construire. Recherche du meilleur, de ton haut niveau. Rester réaliste c’est la nature qui commande.
Trois jeunes sont devant le Jasse du Play…Sans doute étonnés de me voir arriver seul muni d’un traîneau. Bref échange. Il est 13 heures. Je m’installe dans l’abri, allume la cheminée et fais sécher mon duvet. Chaque nuit, il s’humidifie un peu plus en absorbant les traces de la condensation.
Corvée de bois. Repos, thé brûlant, ravitaillement…de nombreux gestes s’accumulent et l’heure avance. A 15 heures, deux néerlandaises entrent dans l’abri suivi de deux autres personnes. 17 heures. Trop de monde. J’installe la tente. Quelques flocons…le ciel est gris…le pas de Berrièves se fait plus impressionnant.
La nuit sera calme. – 4°C sous tente, le temps se radoucit.
ETAPE 4 : Jasse du Play- Corrençon
Lever 06 h 30. Aujourd’hui c’est le grand jour. La traversé arrive à son terme mais c’est aussi l’étape la plus longue et la plus technique…Descente, dévers, longueur, montée… Il fait beau ! C’est la pleine lune…la tente est recouverte d’une fine couche de neige. Sans doute pour apporter de la féerie à ce raid. Les tétras lyre se font entendre.
Silence.
La nuit a été décisive. Je repartirai.
Pliage du camp de base, déjeuner…quelques photos et échanges avec mes voisins de la Jasse.
Départ.
J’ai évacué l’appréhension de la veille concernant les difficultés. J’engloutis avec vitesse les premiers mètres. Descente raide entre les sapins. Le sol est légèrement glacé. Je ne souhaite pas décrocher la pulka. Tâtonnement. J’aurais pu passer par le sentier central….mais je veux m’en tenir à mon itinéraire initial…J’ai entendu ces derniers temps que le raidillon suivant va me poser de sérieuses difficultés. Ce passage, lors de mes repérages m’a fait beaucoup hésité. J’enlève les skis mais je reste harnaché à mon traîneau. Je vais tenter la montée. La neige à bien recouvert les rochers….il y a quelques S à franchir et à négocier. Je me hisse, mètres après mètres sans trop d’anicroche. La barrière orientale du Vercors est splendide. Au loin le Grand Veymont, le pas de la Ville et celui de Berrièves. Le soleil n’a pas encore percé cette muraille.
Sensation étrange.
Le Vercors, m’a épargné. Il m’a donné le meilleur…Ouvert, grandiose, serein. Grand Merci. Il a mis en veille le froid, le vent, le jour blanc.
Encore quelques mètres, une épingle, et la pulka se renverse. Je stabilise la situation rapidement. Les gestes doivent être précis et rapides. J’évite toute casse. Avec un matériel hors d’usage, la situation peut devenir très engagée. Le parcours est scabreux…l’été le cheminement se fait plus facilement. La neige est tassée, les possibilités de passage entre les arbres ne sont pas évidentes. Plusieurs renversements. Je commence à vociférer, preuves de mon énervement. Retour au calme. Mais comment, vais-je passer dans le mythique canyon des Erges ? Je passe non loin du refuge de Tiolache, puis près des ruines de Tiolache le Haut. Me voila au Canyon des Erges. Pause ravitaillement. Quelques minutes de repos. J’explore le paysage. Je scrute les crêtes.
Photos.
Avant d’entamer la descente diabolique, je fais quelques pas à pied pour apprécier ce véritable entonnoir. La neige a radoucie les pentes. Je descend avec confiance cette longue et étroite pente entres roches et forêts… De nombreuses traces rappellent que le dernier épisode neigeux date d’une quinzaine de jour. Dernier renversement de la « Fjellpulken » dans les parages de « Pot du Play »… Vaste prairie entourée d’arbres et du fameux purgatoire, secteur torturé et difficile. Je file en direction de Darbounouse.
Pas d’humain en vue. Je suppose en apercevoir à partir de la prochaine prairie dans quarante minutes environ. Le silence m’appartient, mais je ne le maîtrise pas. Vent, chants d’oiseaux, craquements.
Solitude.
Le Vercors m’apporte la vérité, ma vérité. Face à moi, face à la nature. Face à face.
Apesanteur.
Le ski de randonnée nordique est un des moyens de progression le plus adapté à ce relief. Il permet de progresser harmonieusement avec la nature.
Tracer avec légèreté.
C’est une des différences avec la raquette à neige. Lorsque tu marches dans la poudreuse en raquettes, tu haches la neige… Le nordique apporte une sensation de glisse…Sifflement…douceur.
La randonnée nordique permet de se déplacer rapidement.
Prairie de Darbounouse.
Ce lieu est symbolique à mes yeux. Cette longue et large prairie est situé dans la réserve naturelle, en étant très proche de la civilisation. Le randonneur du jour s’arrêtes le plus souvent ici. Les jours de temps exécrable, Darbounouse se couvre d’un brouillard rendant difficile la navigation à vue. Je considère cette prairie comme la porte des hautes terres du Vercors. C’est aussi un vital pour les bergers à la belle saison !
Je viens de croiser un homme seul. Echanges de regards.
J’ai une sensation bizarre. Le fait de rencontrer d’autres humains est intéressant pour les échanges. Ce contact est aussi rassurant.
D’un autre point de vue, je suis troublé…le silence est brisé…intrusion intérieure. Je considère la traversée du Vercors terminée. La suite est une succession de passages en forêts de feuillus et résineux. J’imagine la horde de randonneurs aux abords de Carrette.
Quelques individus aux alentours, l’intérieur est vide de toute présence. Dernier repas dans le massif. J’active le poêle et profite de ces derniers instants de quiétude. Je pars lors de l’arrivée d’un groupe de raquettistes. Un second parvient à ma hauteur puis un autre. L’itinéraire Golf de Corrençon – refuge de Carrette est un itinéraire très prisé par les ballades familiales… C’est pour moi un point de passage et pour eux la destination finale de la randonnée. De nombreux regards, je me faufile entre les arbres et les files de randonneurs…J’entend la parole suivante « Attention secours en montagne »…C’est sans doute lié à la pulka de couleur rouge ! Ravi et gêné…je retrouve ce monde que je rejette si souvent.
Soulagé et impatient.
Raconter, partager…digérer
Me voici au niveau de la borne du 45 ème parallèle…je profite de ces derniers moments de glisse…l’arrivée devient imminente. Golf de Corrençon, 13 h 40. De nombreux clients sont attablés au restaurant des hauts plateaux, une légère odeur d’huile chatouille mes narines…Retour difficile à la civilisation. La neige s’est transformé en soupe. L’air est chaud. Je me sens fiévreux.
Ce que j’observe à cet instant la cohorte de touristes, l’empilement des autocars me donne envie de partir…Le rêve se termine. Cette réalité que je ne souhaite pas commenter, ne me convient pas.
Heureux. Cette traversée du Vercors, je l’ai pensé, rêvé, dessiné et parcouru ! Objectif réussi !
Quatre jours pour parcourir une terre d’exception, une montagne de rêves, une immensité de doutes et de joies. Réaliser un songe, construire sa trace, fut mes objectifs pour cette traversée du Vercors 2006.
Au niveau sportif, j’ai acquis des réflexes, une technique de progression qui me permettront de découvrir prochainement des terres plus lointaines…
Visitez www.skirandonnenordique.com, le site officiel de Régis Cahn – Ski de randonnée nordique en tractant une pulka – Raid et treks à l’étranger- Bivouac hivernal.
www.skirandonnenordique.com : Ski de Randonnée Nordique – Pulka – Tests matériel outdoor