Dans les pas de l’écrivain Frison-Roche, j’ai marché et bivouaqué 6 jours durant dans le Sahara algérien, dans le parc naturel du Tassili des Ajjers, depuis la petite ville de Djanet jusqu’à l’oasis d’Essendilène. De grandes falaises ocres parsemant les étendues de sable, des peintures rupestres, des dunes aux courbes voluptueuses : je comprends maintenant ce qui a tellement ému le célèbre écrivain. Chaque jour, j’ai découvert de nouveaux paysages en une succession de tableaux somptueux.
Encore dans mon duvet, juste en me soulevant sur les coudes, j’ai la chance d’admirer un panorama exceptionnel : une longue langue de sable couleur de miel coule en pente douce entre de hautes et grandes falaises de grès ocre. Un gigantesque amphithéâtre naturel, dont le fond ouvre sur un horizon constellé de roches flottant entre brume et dunes. Le pépiement des oiseaux ajoute à la sérénité des lieux, que rien ne trouble. Il y a des jours comme ça, qui commencent mieux que d’autres…
En fait, je me l’étais préparé, ce réveil inoubliable. La veille déjà, en arrivant ici à In Alokou, j’ai admiré ce paysage. Et je me suis dit que ce serait sympa de le contempler en ouvrant les yeux. Il suffisait donc de disposer mon matelas pour le bivouac de sorte qu’il n’y ait personne devant moi. Pas bien sorcier, d’ailleurs. Nous ne sommes en effet que quatre à faire ce fabuleux trek entre Djanet, une grosse bourgade dans le grand Sud du Sahara algérien, et Essendilène.
Essendilène ? C’est une petite oasis, un fond de canyon où vivent quelques poignées de nomades sédentarisés sans eau courante ni électricité. Seuls les férus de l’écrivain Roger Frison-Roche connaissent l’endroit. En ce qui me concerne, à ma grande honte, je n’ai lu que « Premier de cordée ». J’ignorais que le grand alpiniste avait longtemps demeuré à Alger -étonnamment, c’est d’ailleurs là qu’il écrit en 1941 ce fameux roman dédié au métier de guide alpin- et qu’il était un grand amoureux du Sahara. « Rendez-vous à Essendilène » est une autre de ses œuvres, avec pour toile de fond cette oasis. Car il affectionnait tout particulièrement les Ajjers, cette partie du désert dans les environs de Djanet.
Sur une falaise, les pitons plantés par Frison-Roche voici 70 ans
Une semaine durant, j’ai donc marché dans les pas de Frison-Roche dans le Sahara algérien. Aimé les mêmes endroits que lui. Et même vu les traces de son passage. Oui, sur une falaise d’un endroit nommé Tilalène, à l’entrée d’un canyon où je pourrais me prendre pour Indiana Jones, subsistent les pitons qu’il a fixés voici 70 ans ! Pas tous, car beaucoup ont été remplacés -ils sont plus brillants- mais la voie tracée par Frison-Roche existe toujours. En fait, le grès de la région est très friable et peu d’endroits se prêtent à l’escalade. L’écrivain aurait alors séjourné pas mal de fois ici, en campant dans une grotte juste en face, sans se lasser.
La même magie opère sur moi, tout au long du trek. Un ravissement de tous les jours. Je kiffe grave. Tout. Du premier au dernier jour, du premier au dernier kilomètre de ce trek dans le Sahara algérien dans les pas de Frison-Roche. Un trek facile, d’ailleurs, où j’ai tout loisir d’observer et admirer le paysage. En fait, il change en permanence, comme les images d’un kaléidoscope. Tantôt notre chemin -toujours cap au nord- nous fait emprunter une gorge étroite qui, subitement, débouche sur une vaste et longue plaine. Où je me dis qu’il faudra des heures et des heures de marche pour en venir à bout. Eh bien non : sans crier gare, le guide Sidi Ali, un fier et sympathique Touareg qui connaît la région comme sa poche, bifurque, nous fait escalader un éboulis. Et nous voilà projetés dans un autre univers. Toujours variés, les paysages s’enchaînent ainsi, sans jamais lasser.
Durant ce trek dans les pas de Frison-Roche, j’admire de splendides peintures rupestres
Avec quelques intermèdes que j’aime beaucoup : admirer des peintures rupestres, des bandes dessinées en quelque sorte, vieilles de 4 000 ans. Durant ce trek dans le Sahara algérien, j’ai l’occasion d’en découvrir presque chaque jour, parfois à plusieurs reprises. Quelques unes sont à peine visibles, d’autres en parfait état lorsqu’elles sont protégées des intempéries. Et à chaque fois, je m’émerveille, me laisse gagner par l’émotion. Les unes racontent des combats entre guerriers, entre animaux. Ou encore mettent en scène des personnages étonnants sous ces latitudes, comme à Tilalène -à quelques centaines de mètres de « la » falaise de Frison-Roche et il faut d’ailleurs grimper pour y parvenir- où j’ai vu des silhouettes féminines visiblement d’allure africaine. D’autres, plus rares certes, font revivre des moments de joie, des danses. A chaque fois, j’ai du mal à m’arracher à leur contemplation.
Chemin faisant, je remarque tout un tas d’empreintes sur le sol. Dès le premier jour, peu de temps avant de parvenir au bivouac, le guide me montre des traces qui semblent fraîches. « Un chacal, commente Sidi Ali. Il n’est pas très loin de nous. Nous ne le voyons pas, mais lui doit nous observer ! » Et d’expliquer qu’il n’y a aucune crainte à avoir car le chacal ne se nourrit que de charogne ou de tout petits animaux. Le soir venu, pas très rassurée quand même, l’une des marcheuses étale son matelas pour la nuit au plus près du campement et de nos amis touaregs…
Le lendemain, un peu plus loin, c’est moi qui tique devant de nouvelles traces. Celles d’un chacal -il doit y en avoir pas mal dans le secteur- et d’autres encore, bien plus larges. Kesako ? Un guépard. Ça alors, je suis bluffé ! Pour autant, faut pas rêver : voir l’animal dans le Sahara algérien, c’est une autre affaire. Sidi Ali m’assure que ça lui arrive de loin en loin. Ce ne sera pas mon cas. Je n’apercevrai même pas de lapin, qui foisonnent semble-t-il, et encore moins de fennec, plus rare il est vrai.
Mais le parcours est parsemé de découvertes en tous genres. Là, c’est un tumulus préhistorique. Ailleurs, ce sont d’immenses cercles concentriques -visibles de très loin- tracés à flanc de montagne avec des pierres. Tournés vers le soleil levant, ils signalent la tombe, datant de l’ère pré-islamique, d’un puissant chef de tribu.
Les jours se suivent ainsi sans se ressembler. Et Essendilène, signalée par une haute falaise s’élevant comme un doigt pointé vers le ciel, approche. Au fond d’un canyon, l’oasis est belle. Je comprends qu’elle séduise.
Mon cher Frison-Roche, dommage que je ne t’ai pas mieux connu plus tôt. Car j’aurais tout fait pour avancer la date de ce « rendez-vous à Essendilène ».
Informations pratiques
Ce reportage dans le Sahara algérien a été réalisé lors du trek baptisé « Rendez-vous à Esssendilène », une randonnée pédestre de 8 jours, proposé par Horizons Nomades.
Horizons Nomades, agence de voyages établie à Strasbourg, est un spécialiste reconnu du désert en général et du Sahara en particulier. Ses destinations favorites sont encore l’Éthiopie, dont Horizons Nomades est sans aucun doute le meilleur connaisseur en France, ainsi que Madagascar et l’Iran.
Le trek se déroule de la manière suivante : la première et la dernière nuit se passent dans un village de toile touareg avec douches et sanitaires aux portes de Djanet, les autres en bivouac (Il y a toutefois possibilité de louer une tente). Un 4×4 d’assistance transporte les bagages d’un bivouac à l’autre, et l’on ne porte que ses affaires de la demi-journée. En effet, les randonneurs retrouvent ce véhicule chaque midi pour prendre le repas, préparé, tout comme le soir évidemment, par un cuisinier. Dans mon cas, je me suis léché les babines à chaque repas : étonnant de constater combien ils peuvent être succulents en plein désert !
Journaliste professionnel venant de la presse régionale, j’ai toujours aimé bouger. Au fil de mes pérégrinations, j’ai découvert le voyage à pied et à vélo, que j’apprécie énormément l’un comme l’autre. Et plus j’en fais, plus j’en redemande !