A deux pas de la frontière chinoise, la partie indienne du Changtang tibétain est notre terrain de randonnée. 10 jours de trek exigeants sur les immenses plateaux du Rupshu où s’installent les nomades Changpa, éleveurs de chèvres et de yacks. Depuis Rumtse à 4100m d’altitude, nous avons traversé des vallées préservées pour atteindre les rives salées du lac Stokar avant de passer les hauts cols du Rupshu à plus de 5000 m pour redescendre par des vallées isolées et rejoindre le lac Tsomoriri et ses eaux turquoise dominées par le village de Karzok. Espaces sauvages et infinis, lacs d’altitude, ivresse des grands cols, rencontre avec les nomades…
Acclimatation à Leh
C’est depuis Delhi par les airs que nous atteignons Leh, la capitale du Ladakh. En a peine plus d’une heure, l’organisme prend près de 3500 mètres de hauteur.
A la sortie de l’avion, je ressens une légère pression sur le crâne, signe que mon corps n’apprécie pas trop cette rude montée en altitude.
Nous restons trois jours à Leh pour nous acclimater avant d’entamer notre trek dans la région du Changtang. La clef, c’est de fournir peu d’efforts les premiers jours : se reposer, lire, boire beaucoup d’eau, se balader en toute quiétude.
Nous en profitons également pour visiter le palais de Leh, quelques monastères dans la vallée de l’Indus. Plus qu’une préparation au trek, c’est une belle entrée en matière pour découvrir un peu plus la culture Bouddhique. Ma préférence va peut-être au monastère de Phyang mais Likir et Hemis sont aussi très intéressants.
Le Changtang indien, notre terrain de trek
Situé à l’extrémité orientale du Ladakh, le Changtang indien s’est récemment ouvert au tourisme. Les paysages y sont grandioses et lumineux ; les espaces y sont vastes comme un désert serti de petites dunes et la vie sauvage y est intense. Des paysages grandioses pour y effectuer un trek à l’écart des grands classiques du Ladakh.
Les nomades Changpa du clan Korzok, éleveurs de chèvres et de yacks, transhument du lac Tsomoriri vers les hautes vallées du Rupshu à la recherche des meilleurs pâturages pour leurs bêtes. Voilà une autre belle occasion de découvrir un des derniers peuples nomades d’Inde.
Par un itinéraire d’altitude exigeant physiquement (col à plus de 5700 m à passer), nous partons explorer ce territoire depuis la vallée de Kyamar jusqu’aux rives du lac Tso Moriri. En chemin, l’hospitalité légendaire nomade nous ouvre les portes de l’humilité et de l’échange.
Trekking au Ladakh réalisé avec Shanti Travel, spécialiste des randonnées et voyages d’aventures en Inde ainsi qu’avec le soutien de l’office de tourisme de l’Inde à Paris
Premiers pas jusqu’au lac Tso Kar
23 juillet : longue route depuis Leh pour rejoindre le pied du Rupshu qu’on appelle aussi Changtang car il forme la suite du haut plateau tibétain du Changtang. Rumtse, village du bout du monde à 4100 m, nous accueille à sa périphérie, le long de la rivière Gya Shu qui prend sa source 2000 mètres plus haut dans le massif de Gyamshu. Pas de randonnée aujourd’hui pour parfaire l’acclimatation. Autour du campement, quelques femmes Ladakhies enfilent de la laine sur le bord de la route alors que le ciel menace de plus en plus fort.
25 juillet. Depuis hier, nous remontons la large vallée de Kyamar. Aucun habitant en vue hormis de nombreuses marmottes et des plantes rases comme la Santoline qui éveille nos narines au grès du chemin. L’appel des grands espaces et de l’altitude picote nos voûtes plantaires à l’approche du Kyamri La (5100 m) qui marque notre véritable entrée sur le haut plateau du Rupshu, le versant indien du Changtang tibétain. Sous le col, des édeilwess tapissent le sol à profusion comme un pied de nez à sa raréfaction dans les Alpes. Au second col de la journée, le Mandalchan La (5200 m), l’altitude m’extirpe de ma béatitude : le souffle est court. Je ralentis et monte au pas. Ne pas brûler ses cartouches pour éviter le mal des montagnes.
Sur le plateau de Tisaling, deux kiangs, les ânes sauvages du Tibet, se laissent observer à distance raisonnable. Derrière nous, des pikas, littéralement lapins siffleurs en tibétain, traversent le camp à la recherche de restes de nourriture. Contrairement aux apparences, il ne s’agit pas d’un rongeur mais d’un lagomorphe comme les lapins et les lièvres mais en version miniature.
26 juillet : En fin de journée, nous contournons les eaux laiteuses du lac Tso Kar serti d’une bande de sel nourricière pour les animaux et les oiseaux en migration. A Riyul, sur les rives sud du lac, un violent orage nous trempe des os aux pieds. Après son départ, les couleurs chatoyantes nous éclatent à la figure. Finalement, ça valait le coup de se faire gronder !
Les terriers de marmottes sont légions autour de l’étendue d’eau. A ma grande surprise, on peut même les approcher d’assez prêt. Qui a dit que les marmottes n’étaient pas curieuses ?
Les hauts cols du Changtang indien
27 juillet : Après le Tso Kar, nous reprenons de l’altitude et quittons les berges situées à seulement 4500 m. Le premier col à passer est le Nurruchan La à 4950 m mais avant d’entrer dans la cour des grands, nous entrons dans la vallée de Rajun Karu parsemée de tentes Changpa, la rebho.
Une pluie fine mais persistante s’abat sur nous alors que nous approchons des premières tentes qui, signe des temps modernes, ont troqué le poil de yack pour le coton made in China. Quelque soit le climat, les nomades bravent le temps qu’il fait. Une cinquantaine de chèvres sont attachées face à face par leur cou pendant que deux femmes tirent le meilleur de leur lait. Tout en travaillant, elles nous accueillent d’un « jullé » en guise de bienvenue. Quelques secondes plus tard, nous sommes assis dans la tente, au sec, un thé au beurre salé dans les mains.
Les tentes Changpa sont toutes organisées de la même façon : à gauche, la cuisine, à droite, ce qui tient à la fois de salon et de chambre et au fond l’hôtel bouddhiste où sont faites les offrandes.
Tout en discutant avec le chef de famille, nous prenons conscience de la vie extrêmement rigoureuse et difficile sur ces hauts plateaux d’altitude, à la limite des zones habitables. Malgré, les rudes conditions, les adultes Changpa revendiquent leur statut de nomadisme et ne font pas état d’envies à l’occidental.
28 juillet : A froid, nous montons au Kyamayuri la (5322 m) et entrons dans le royaume de la haute altitude. Mon corps éprouve des difficultés à progresser aussi haut. Au col, j’arrive physiquement éprouvé.
La descente sur les pâturages de Gyama Barma (5210 m) tombe à pic comme la pluie qui ruissèle sur nos goretex. Une famille Changpa nous invite à nous abriter. Cela deviendra une constante face au temps qui brave les habitudes climatiques. Car à cette période de l’année, il ne devrait pas pleuvoir, le Ladakh étant normalement exempt de mousson.
On nous offre le thé tibétain. En échange, nous offrons des amandes et une partie de nos pique-niques.
Un autre col à passer, le Kotse (5380 m) avant de surfer sur les chemins humides jusqu’à Gyama Chu (5180 m) pour y planter le campement. Ici aussi les nomades ont investi les pâturages d’altitude. Il faut dire que les pluies quotidiennes sont une aubaine pour leur troupeau. On ne peut pas en dire autant pour nous !
Si planter le camp au milieu des tentes nomades facilite les contacts, les nuits n’en sont que plus difficiles face aux aboiements incessants des chiens qui errent pour protéger les troupeaux des prédateurs éventuels, le loup en tête.
29 juillet : C’est le jour J, le passage du col le plus haut du trek, noté à 5850 m sur la carte. Mais pour moi, c’est le jour sans. Troisième nuit quasiment sans dormir. Au réveil, je suis déjà épuisé. J’ai la nausée, pas d’appétit et de légers vertiges. Mon corps exprime son rejet de l’altitude. Que faire ? Passer le col à pied : une utopie ! Rester au camp ? Descendre sur Korzok à une heure de marche à pied mais avec un col à passer aux alentours de 5400 mètres ?
Finalement, on m’attribue une jument pour enjamber le col. Au moindre signe alarmant de mal aigu des montagnes, je redescends illico presto. Sur le cheval, les signes s’estompent. 100 mètres, sous le col, je prends la décision de continuer à pied. Pas question de passer le col à cheval : trop fier pour ça ! Je finis dans la souffrance de mes camarades. Les visages sont cernés, fatigués mais heureux d’avoir passés le col finalement évalué au GPS à 5728 mètres.
Encore un peu plus de 800 mètres de dénivelé négatif pour rejoindre le campement. En bas, je me sens pousser des ailes loin du pays des nuages.
Jusqu’au lac Tsomoriri
Durant trois jours, nous descendons la vallée de la Phirtse Chu. Le plus dur de l’itinéraire est passé. Les derniers jours de trek se déroulent sans aucune difficulté. La dénivelée étant quasi nulle, légèrement négative.
Depuis Gyama il y a deux jours, nous aurions pu redescendre sur le lac Tsomoriri en 5h00. Si nous empruntons la vallée de Phirtse Chu, c’est pour aller à la rencontre des nomades Changpas, qui l’été quittent les pâturages bordant le lac Tsomoriri pour ceux de la vallée. En procédant ainsi, les pasteurs pratiquent une gestion responsable de leur habitat. De retour au Tsomoriri au début de l’hiver, les animaux pourront bénéficier d’un pâturage qui aura pu se régénérer.
Depuis le début de notre périple, nous avons croisé un certains nombres de campement nomades et y avons vu de nombreuses chèvres et brebis. Les chèvres sont essentiellement élevées pour leur laine avec laquelle les Cachemiris confectionnent les voiles en pashmina. Cette laine constitue la principale source de revenu. Chemat Dorjat, un nomade Changpa rencontré dans la vallée au pâturage de Thargang, dispose ainsi d’un troupeau de 250 bêtes qui lui rapporte chaque année 60 à 70 kg de laine qu’il vend à une coopérative de Leh ou directement au Cachemiris de passage.
Mais une question reste sans réponse et taraude Monique depuis quelques jours : « où sont les yaks » ? Imperceptiblement, on nous dit « dans la montagne ». N’y sommes nous pas ?
Chemat nous apprend également qu’un professeur ambulant va pour la première fois instruire les enfants nomades. Une petite révolution culturelle dans ce monde nomade où les enfants sont avant-tout des adultes en miniature remplissant leurs lots de tâches quotidiennes : la tenue des troupeaux en tête.
Chemat n’est pas très curieux sur notre mode de vie mais une question l’intéresse : « Quelle est votre religion ? Avez-vous des moines ? Comment pratiquez-vous votre culte »? La religion est une constante en Inde. Les gens ne sont pas athées mais se rattachent à l’Hindouisme, au Janaisme, au Coran, au Christianisme ou au Bouddhisme pour se définir alors qu’en France, la profession ou le cursus universitaire nous intéressent davantage. Autre lieu, autres codes sociaux.
Alors que l’Inde évoque les mystères de l’Orient, la vie des Changpa, à une altitude moyenne de plus de 4500 mètres d’altitude, constitue pour moi une énigme contre les lois naturelles…
La descente de la rivière Phirtse Chu se poursuit. La vallée, qui était si large les jours précédents, se transforme en un canyon étroit dans lequel nous zigzaguons jusqu’aux rives sud du lac Tsomoriri coincé entre la chaîne du Spiti au sud, la chaîne de Korzok à l’ouest et le reste du Rupshu au nord.
2 août : C’est notre dernier jour de trek. Nous le passons intégralement le long des berges ouest du lac sous un cagnard de plomb. Il fait si chaud que je prends conscience que nous n’avons pas croisé un arbre depuis notre départ du trek !
Le lac Tsomoriri avec sa couronne turquoise forme une mer intérieure de 140 km2. Ses bords sont entièrement dénués de végétation hormis à ses extrémités sud et nord où viennent se jeter les principales rivières des environs. Ces emplacements sont les lieux de pâturage hivernaux.
Nous arrivons sur Korzok, de loin un oasis de verdure dans ce milieu hostile. Une fois sur place, l’engouement est tombé. Le village est bondé de touristes, le campement est sale et bruyant. Un lieu à fuir au plus vite, ce que nous faisons dès le lendemain pour partir explorer la proche vallée de Korzong Chu qui comporte la plus grande concentration de nomades. Des rencontres à profusion pour mettre un terme à un trek d’altitude sous le signe de la rencontre.
Informations pratiques
Comment y aller ?
Air India est la seule compagnie aérienne à proposer des vols directs vers Delhi. Le plus simple est d’ensuite réserver un vol intérieur pour Leh via Air India, Kingfisher ou Jet Airways.
Si vous passez par Shanti Travel, le vol interne est réservé par leurs soins.
Quand partir ?
La meilleure période va de juin à septembre pour se rendre dans le Changtang.
Avec qui partir ?
Shanti Travel, spécialiste des voyages et des trekkings en Inde a organisé ce trekking dans le Rupshu dans le sud-est du Ladakh.
Difficultés ?
L’itinéraire dans le Rupshu ne présente pas de difficultés techniques. Toutefois, en raison de l’altitude élevée (de 4100 m à 5728 m) et de la durée passée à plus de 4500 m, le marcheur doit avoir une très bonne forme physique. Le Changtang étant un haut plateau d’altitude, tout le trek se déroule au dessus 4100 m et en grande partie au delà de 4600 m. C’est à tenir en compte car en cas de mal des montagnes, il n’est pas possible de descendre urgemment en dessous de ces altitudes.
Permis
Le Rupshu est proche de la frontière chinoise, ce qui explique l’obligation de disposer d’un permis pour s’y rendre. Toutes les agences de voyage de Leh pourront vous aider dans cette démarche. Somme modique
Santé
Aucune vaccination obligatoire mais les vaccins classiques sont conseillés (Dtpolio, hépatite A, hépatite B, typhoïde, méningite A et C).
Mal des montagnes : en raison du séjour prolongé en altitude pendant l’itinéraire, le risque de Mam est réel. Veuillez vous reporter à l’article sur le Mal Aigu des Montagnes pour en savoir plus.
Roadbook du trek
J1 : Rumtse – Kyamar
D+ : 450 m
D- : 50 m
Temps de marche : 4h30
J2 : Kyamar – Tisaling
D+ : 760 m
D- : 400 m
Temps de marche : 4h30
J3 : Tisaling – Riyul
D+ : 400 m
D- : 800 m
Temps de marche : 6h00
J4 : Riyul – Rajun Karu
D+ : 510 m
D- : 150 m
Temps de marche : 6h00
J5 : Rajun Karu – Gyama chu
D+ : 680 m
D- : 475 m
Temps de marche : 5h30
J6 : Gyama chu – Lanyar
D+ : 700 m
D- : 830 m
Temps de marche : 5h00
J7 : Lanyar – Thargang
D+ : 35 m
D- : 250 m
Temps de marche : 4h00
J8 : thargang – Latho Gongma
D+ : 150 m
D- : 210 m
Temps de marche : 3h30
J9 : Latho Gongma – Kyandam
D+ : 75 m
D- : 160 m
Temps de marche : 5h00
J10 : Kyangdam – Korzong
D+ : 150 m
D- : 50 m
Temps de marche : 6h00
Bibliographie
- Lonely Planet Inde du nord : pratique pour obtenir des informations générales sur l’Inde, le Ladakh et le trekking ainsi que pour ses adresses et conseils pratiques
- Grands Treks au Ladakh-Zanskar d’Elodie et Rambert Jamen : Topo de huit treks au Ladakh Zanskar ; pour trekkeurs indépendants
- Ladakh – Zanskar de Charles Genoud et Philippe chabloz : la bible sur la région et la culture Ladakhie et Zanskarie. 19 itinéraires de trekking sont également présentés. Les éditions Olizane publient également trois cartes de randonnée au 1:150 000 : Ladakh Zanskar nord, centre et sud. Ce sont de loin les plus précises disponibles.
Plus d’informations sur l’Inde
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Fondateur d’I-Trekkings et des blogs I-Voyages et My Wildlife, j’apprécie le rythme lent de la marche et des activités outdoor non motorisés pour découvrir des territoires montagneux et désertiques, observer la faune sauvage et rencontrer les populations locales. Je marche aussi bien seul, qu’entre amis ou avec des agences françaises ou locales. J’accompagne également des voyages photo animaliers qui associent le plaisir d’être dans la nature et l’apprentissage ou le perfectionnement de la photographie animalière.
J’ai trouvé votre site en cherchant des infos sur le changtang car je lis “La panthère des neiges”. J’adore votre récit et surtout les photos sont grandioses !
Merci Adèle. Ce trek est incroyable !